lundi 12 avril 2010

Israël – Palestine Diasporés d’hier – Diasporés d’aujourd’hui Mémoires plurielles et nouvelles identités

Dr. Ahmed BENANI
Président de l'OIAP Mai 2011
Israël – Palestine
Diasporés d’hier – Diasporés d’aujourd’hui
Mémoires plurielles et nouvelles identités


Trois journées d’études consacrées aux réfugiés
L’OIAP (Observatoire international des affaires de la Palestine), en collaboration avec
des ONG et des membres de la société civile représentatifs des réfugiés palestiniens
(Palestine, Jordanie, Syrie, Liban, Europe et Amériques), ainsi que des grandes
figures d’Israël et de Palestine, organisent un symposium de trois jours à Genève les
14, 15 et 16 mai 2011.
La question des réfugiés sera au centre de nos débats, mais en étroite relation avec ce
qui est à la racine de la conflictualité israélo-palestinienne.
Notre initiative peut être condamnée, considérée comme utopique voire tournée en
dérision. Nous croyons cependant à la nécessité d’une telle entreprise car, à l’heure
actuelle, la question israélo-palestinienne est secondarisée au profit des intérêts des
grandes et moyennes puissances et de leur cynisme. Dès lors, il devient crucial de
redonner la parole à ceux qui vivent au quotidien cette grande discorde, en vue de
proposer une discussion libre et respectueuse des positions de chacun.
La conférence sera, nous l’espérons, l’occasion d’ouvrir un débat citoyen en vue de
créer de nouveaux outils d’analyse pour le futur, outils appelés à transcender les
impasses habituelles, qu’elles soient nationalistes, militantes, essentialistes,
économiques, ou encore religieuses.
Jusqu’à présent, les “solutions” envisagées par les diplomates itinérants, les éminents
juristes, les hommes politiques les plus puissants du globe, les militants de tous
bords, le G8, le Quartet, le Vatican, etc. ont toutes, sans exception, échoué. Et les
conséquences de leur inanité sont sanglantes et douloureuses. Une ébauche de
réponse possible au désastre actuel peut s’envisager à partir d’un nouvel espace qui
autorise des approches alternatives.
Nous pensons que l’un des aspects positifs du phénomène de la globalisation est de
rendre, de facto, caduc le concept d’Etat-nation. Nous croyons que les peuples,
aujourd’hui, se sentent de plus en plus appelés par la nécessité de se penser en termes
de “citoyens du monde”, pleinement engagés dans le processus du vivre ensemble,
guidés par des préoccupations éthiques. Sur ce dernier point, nous partageons
entièrement les critiques formulées par le Professeur Yeshayabou Leibowitz en 1994 :
« Je ne comprends absolument pas ce que peuvent vouloir dire les notions de “morale
juive” ou de peuples “éclairés” (…). Il n’y a de différences morales qu’au niveau
individuel, entre un homme et un autre (…). Si nous parlons de conscience morale,
tout se passe purement au niveau de l’individu. » Et dans un même esprit, il ajoute :
« Un Etat “juif” ? Mais, depuis le XIXe siècle, le concept de judaïsme n’a plus de
contenu, au niveau des valeurs, qui soit accepté par tous. » Dès lors, s’extraire d’une
logique d’Etat au profit d’une logique citoyenne – avec toutes les exigences que cela
implique au niveau éthique, mnésique et existentiel – redevient une alternative
fructueuse et pleine de sens.
Le temps de l’apartheid est révolu. Désigner, aujourd’hui, Israël, en termes d’Etat
“juif”, abolit sa pluralité confessionnelle et ethnique. Le conflit provoqué par le
partage de la Palestine ne connaîtra jamais de fin si ce qualificatif, générateur de
ségrégation, est maintenu. Il s’agit, encore une fois, de poser des distinctions pour
éviter la confusion mentale habituelle qui caractérise l’absence de pensée et les
réactions émotionnelles : il faut cesser d’accoler le qualificatif “juif” à un Etat qui se
veut moderne et ne pas confondre sans arrêt la critique du sionisme (qui est une
option politique) avec de l’antisémitisme (qui est une forme de racisme).
Il ne s’agit en aucun cas d’occulter la “Mémoire”, mais de refuser de la comprendre
seulement à partir d’un horizon aussi étroit que celui de la souffrance comme identité
(Prof. Esther Benbassa). Les Palestiniens d’aujourd’hui (qu’ils soient de culture
musulmane, juive ou chrétienne) tout comme les juifs d’hier, semblent se rallier à une
idée ancienne qui a servi de justification idéologique : « Je souffre, donc je suis ». En
situation d’occupation et de déni du droit, est-il envisageable de dépasser cette
logique victimaire pour se laisser un peu plus de liberté dans la perspective du vivre
ensemble ?
La mémoire peut être revisitée, en gardant à l’esprit qu’elle n’est pas une chose
tournée vers un passé irrémédiablement perdu, mais qu’elle est ce qui permet, au
contraire, de construire l’avenir. Il s’agirait donc de penser la question des réfugiés à
partir du Congrès sioniste de Bâle de 1897. La Mémoire est mémoire des lieux,
mémoire d’un grand-père à qui nous voudrions rendre hommage, mémoire d’une
maison et le désir de voir ce qu’elle est devenue, mémoire d’une terre qui
s’accompagne parfois du désir de la fouler à nouveau. Pourquoi ce désir serait-il
absurde dans le cas des réfugiés palestiniens ? Il ne s’agit pas de revanche, mais d’une
relecture du droit et de sa réactualisation. Les “citoyens” juifs d’Israël qui le
souhaitent ont le droit de revenir aux lieux de leur enfance (Berlin, Riga, Paris, Fès,
Alger, Casablanca, Tunis, etc.). Pourquoi ce droit n’est-il pas accordé aux Palestiniens
? Peut-on parler de “droit” s’il ne s’applique qu’à une minorité en fonction de
son appartenance à telle ou telle religion? Sinon à admettre que les Palestiniens sont
les nouveaux juifs errants du Moyen-Orient, des diasporés pour l’éternité ?
Dans ce contexte, nous pensons qu’il est envisageable qu’Israéliens et réfugiés
palestiniens puissent avoir des contacts entre eux, comme c’était le cas jadis, sur cette
même terre de Palestine, entre juifs, musulmans et chrétiens. Revisiter cette mémoire
collective ne devrait pas se limiter pour les uns et les autres à redire la Shoah ou la
Naqba, car cela risque de ramener au premier plan l’identité de victime dont il s’agit
de se départir pour construire un futur pour nos enfants. Le principe du “droit au
retour” n’est pas une manière de prendre sa revanche mais un “sacerdoce” d’un type
nouveau.
Il est nécessaire de rompre avec les idéologies essentialistes qui sacralisent le conflit.
Il s’agit de réexaminer, par exemple, le processus ou le débat concernant le contrôle
des lieux saints, pour montrer comment les périmètres de la sacralité, tels que le Mur
des Lamentations, l’Eglise du Saint Sépulcre ou encore la Mosquée Al Aqsa, se sont
constitués en une exigence irréductible et non négociable, de la foi juive, musulmane,
voire chrétienne. La liberté de circuler ou de s’établir en un lieu doit être liée à la
citoyenneté et non aux appartenances culturelles et religieuses.
Liant le sort des êtres humains avec le sort de l’Etat, la conception de l’Etat d’Israël a
fondamentalement changé depuis 1967. Nous le répétons une fois de plus, il est
nécessaire de rompre avec le consensus post-sioniste, qui essentialise et sacralise le
conflit israélo-palestinien tout en le maintenant dans une dimension militaire et
politique classique.
Il faut, en ce qui nous concerne, renouer avec la position de Frantz Fanon, lequel
refuse que la solidarité envers un passé d’esclavage détermine sa conduite et sa
manière d’être, en le rendant “esclave de l’esclavage qui déshumanise ses pères”.
Fanon “refuse de chanter le passé aux dépens de son avenir” et ne veut pas “fixer
l’homme en essentialisant le nègre”, comme aujourd’hui on essaie de fixer le juif en
essentialisant l’Israélien.
Les idées formulées plus haut sont des pistes en quête d’une nouvelle manière de
penser qui explore “l’impensé” même de la question. Et cela afin de créer une
dynamique nouvelle, durable et positive dans la région. Pour atteindre cet objectif,
nous invitons tous les acteurs impliqués dans cette problématique, à apporter leurs
idées ainsi que leurs propositions concrètes.
Par conséquent, en tant que groupe d’initiateurs d’origine palestinienne, israélienne
et européenne, nous souhaitons contribuer à désengorger le conflit et, en particulier,
à ouvrir le débat sur la question du droit au retour en terre de Palestine et la question
du statut d’un espace politique dont les formes restent à être définies par les futurs
citoyens dans leur diversité et leur égalité. Nous souhaitons nous déprendre d’une
logique de l’urgence, dictée par une situation de guerre permanente ainsi que des
réponses émotionnelles qu’une telle situation suscite inévitablement. Pour le dire
d’un trait : éviter la surenchère pour oeuvrer sur le long terme.
La conférence sera centrée sur la société civile, une société qui, peut-être, verra le jour
dans un avenir proche, ou même lointain, cela ne relève pas de notre volonté. Une
société dans laquelle les droits humains et, par dessus tout, la liberté de conviction,
doivent être protégés. Une société séculière, où les croyants ne jouissent pas d’une
supériorité sur les non-croyants. Une société où la perte de la croyance en des valeurs
religieuses, n’est pas jugée comme un crime spirituel, politique ou social. En d’autres
termes, une société qui considère que chacun de ses membres a une valeur égale et
des droits inaliénables.
Nous souhaitons repenser à nouveaux frais, et dans une perspective critique, les
convictions liées à l’ethnicité et à la religiosité, afin de déconstruire des identités
enracinées dans un sentiment patriotique ou un nationalisme exacerbé. Et pour le
dire encore autrement, nous cherchons à comprendre les événements en nous
déprenant quelque peu de l’étreinte suffocante de l’Histoire dans sa guise totalitaire.
Le programme des journées d’études de mai 2009 se présente comme un vaste
symposium qui exposera des contributions artistiques et littéraires diverses sur la
question des réfugiés (films, photographie, théâtre, livres, musique, arts plastiques,
etc.). Notre symposium sera l’occasion de montrer et de commenter des ¦uvres
importantes telles que le film Exodus ou le livre de Walid Khalidi, Before their
Diaspora ainsi que des films récents tels que The Bubble, Lemon Tree, La visite de la
fanfare, Citizen Bishara, Palestine Histoire d'une Terre, Paradise Now ou encore Le
Sel de la Mer. Ces contributions s’articuleront également à ce que les réfugiés ont à
nous dire quant à leur statut actuel et à la manière dont ils voient leur futur. Par
ailleurs, s’ils le souhaitent, les réfugiés pourront appeler, depuis notre forum à des
marches symboliques et pacifiques vers les frontières, pour rappeler que le droit au
retour ne peut se réduire à une vague résolution des Nations Unies ou à un voeu
pieux.
Nous demanderons que la couverture médiatique télévisuelle ne concerne pas
seulement les débats qui auront lieu durant le forum mais, dans une optique
interactive, qu’elle puisse permettre le témoignage des réfugiés palestiniens vivant
dans des camps mais aussi dans les principales villes d’Israël et de Palestine, de
Beyrouth, d’Amman et de Damas.
Les personnes qui se sentent concernées par la question - les universitaires, les
artistes, les représentants des réfugiés, les ONG et les délégués des différents Etats -
sont invitées à envoyer leurs contributions. Elles seront publiées en ligne, avant et
durant les journées d’étude. Pour que le droit à la parole soit donné à chacun
équitablement et sans hiérarchie, les contributions écrites doivent se situer entre 10
et 15 pages au maximum. Durant la conférence, quatre langues seront proposées : le
français, l’anglais, l’arabe et l’hébreu. Des traducteurs professionnels assureront les
échanges.
Nous demandons un soutien moral et financier pour mener à bien notre projet. Le
budget est estimé à 200’000 Euros; un rapport de gestion sera donné à tous les
participants. Le comité exécutif sera en charge du budget et de l’organisation
logistique de la conférence. Toute aide, même modeste, est la bienvenue. Les
éventuels bénéfices provenant de la vente d’oeuvres ou l’éventuel excédent budgétaire,
seront réaffectés dans un projet qui sera discuté en commun au terme de la
conférence.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire