lundi 12 décembre 2011

Déclaration citoyenne de Genève

Déclaration citoyenne de Genève

pour

la Liberté, la Justice et la Dignité dans le Monde Arabe

De la Genève internationale, nous, citoyens de la société civile et de réseaux associatifs, chercheurs, étudiants et travailleurs sociaux, originaires du Nord et du Sud, exprimons notre pleine solidarité et notre soutien inconditionnel à tous les peuples de la région qui luttent pacifiquement pour le renversement de systèmes autoritaires n’ayant plus leur place dans le monde interdépendant du XXIe siècle. L’immolation par le feu du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi fut l’étincelle de ce formidable mouvement d’émancipation et d’autodétermination sans précédent dans la région. En Tunisie, en Égypte, au Yémen, à Bahreïn, en Libye, en Jordanie, au Maroc, en Algérie et ailleurs, des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux, des enfants et des adultes sont descendus les mains nues dans la rue pour appeler au départ immédiat des tyrans et pour des réformes politiques. En dehors de tout exclusivisme idéologique ou religieux, en dehors de toute revendication nationaliste ou ethnique, en dehors de toute allégeance politique ou partisane, ils ont exigé la fin de l’oppression et de l’humiliation et l’advenue des droits humains fondamentaux. Nous rendons également hommage à la contestation démocratique des citoyens iraniens contre l’ordre théocratique du régime de Téhéran (printemps 2010).

A la tête de ce mouvement aucun chef, aucune figure charismatique, aucune autorité tutélaire politique ou religieuse, aucun plan préconçu, aucune intervention étrangère. Seulement des citoyennes et des citoyens qui se sont soulevés. Des citoyennes et des citoyens, appartenant à toutes les classes sociales, à toutes les tranches d’âges, à la campagne aussi bien qu’à la ville, libéraux ou communistes, conservateurs ou socialistes, croyants ou non croyants, musulmans, juifs, ou chrétiens. Abandonnant la culture de la peur, ils ont tous marché contre les dictatures. On est loin des clichés d’un monde arabe monolithique incapable d’ouverture et de démocratie, se complaisant dans l’autoritarisme et le népotisme, habité par le fanatisme religieux et la haine de l’autre.

Les nouvelles formes d’organisation inédites qu’empruntent ces révolutions : comités citoyens d’auto-défense, réseaux associatifs, structures autogestionnaires, forums de discussions et de débats, mobilisation des technologies d’information les plus performantes, soulignent combien les grilles traditionnelles d’analyse de ce monde se sont révélées inopérantes ; combien aussi l’Occident s’est complu dans une vision essentialiste et culturaliste du monde arabe. Les intérêts économiques et géostratégiques des États-Unis d’Amérique et de l’Europe ont été systématiquement privilégiés au prix d’un fort mépris pour les citoyennes et citoyens arabes écrasés par des monarchies absolues, des républiques héréditaires et militaires alliées privilégiées de l’Occident. La révolution de jasmin ayant révélé avec éclat la complicité, le paternalisme et néocolonialisme scandaleux de la France, et de l’Italie qui tranchent avec la vision libérale et pragmatique d’un Obama.

Ce qui semble se dessiner aujourd’hui à travers le mouvement révolutionnaire dans le monde arabe est un regain de confiance dans le politique et le sens civique. En dehors de tous les clivages et de toutes les obédiences, il réaffirme la primauté de l’être ensemble, appelle pour le renouvellement du contrat social et milite pour un pacte citoyen fondé sur le respect et la justice, la dignité et l’égalité, la liberté et la démocratie. Au moment où en Europe et aux États-Unis, la défiance par rapport à la classe politique alimente les crispations identitaires, les réflexes nationalistes et les penchants xénophobes, parions que ce qui est en train de se dérouler dans le monde arabe inaugure une nouvelle conscience politique élargie à l’échelle mondiale et un nouvel esprit universaliste engagé et solidaire.

Le monde arabe commence à peine à sortir des formes multiples de despotisme, d'autoritarisme, de la culture de la peur. La parole se libère, les gens expriment leurs désirs d'émancipation, de vie meilleure, d'accès au savoir, de mobilité. Les révoltes ou révolutions sociales qui sont en cours, ne sont de ce fait ni à l'abri de violences ni exemptes de risques régressifs ou de récupérations politiques, idéologiques, sectaires, religieuses, etc. Il faut dès lors, faire nôtre, toutes ces diversités que sont l'arabité, l'islamité, l'amazighité, la kurdité, la judéité et la chrétienté arabes, la démocratie participative, la sécularité, l’émancipation sociale, l’égalité des sexes, etc., qui sont entrées dans une nouvelle forme de modernité, d'interrogation et de globalisation. Elles ont comme premiers lieux d'ancrage la Tunisie (17 décembre 2010), l'Égypte (12 février 2011), la Libye (17 février 2011) , le Yémen (28 janvier), le Bahreïn (14 février 2011) et marquent à une vitesse impensable jusqu’ici une progression que nous ne sommes pas encore en mesure d'apprécier ou d'analyser.

D’où notre souci de mettre sur pied à travers un réseau d’intellectuels et de chercheurs, de jeunes, de militants de la société civile, d’activistes associatifs, un espace d'informations et d’échanges destinées aux citoyens du Nord et du Sud. Dans notre réseau nous resterons une force vigilante, de relais et d’accompagnement des Révolutions arabes.

Genève-Lausanne, le 6 mars 2011

Premiers signataires :
Dr. Ahmed BENANI, Politologue et Anthropologue des religions

Mehdi BENANI, Etudiant Droit et Lettres Université de Genève

Jugurtha Aït-Ahmed, Journaliste , rédacteur en Chef Swissinfo

Abdelmoula LAMHANGAR, Géographe et élu PS


Djadouri BADDREDDINE, Sociologue

Khalid Ohmiti, scientifique

24 autres signataires depuis le 7 mars 2012