Le COURRIER de Genève
«Gaza, futur Hamas land»
PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE
Paru le Samedi 01 Octobre 2005
.
APRÈS LE RETRAIT ISRAÉLIEN - Le politologue Ahmed Benani voit mal l'Autorité palestinienne reprendre la main dans la bande de Gaza.
Il y a un mois, Israël achevait l'évacuation des colons de la bande de Gaza ainsi que ceux de deux petites implantations en Cisjordanie. Le week-end dernier, la situation s'est brusquement dégradée. Après l'explosion accidentelle d'un de ses camions lors d'une parade, le Hamas en rejetait la responsabilité sur l'Etat hébreu et tirait des salves de roquettes sur Israël. La réplique ne s'est pas fait attendre avec le bouclage des territoires occupés, des arrestations et la reprise des «assassinats ciblés». Juste avant cela, nous avions interrogé le professeur Ahmed Benani. Marocain d'origine, il enseigne l'anthropologie religieuse à l'Université de Lausanne. Il préside l'Observatoire international des affaires de Palestine, créé en 1998.
Le Courrier: Avec un peu de recul, le retrait de Gaza a-t-il rapproché ou éloigné les Palestiniens et les Israéliens d'une solutionnégociée?
Ahmed Benani: Si l'ONU fête les 60 ans de son existence, les Palestiniens, eux, «célèbrent» leur 57e année d'échec à retrouver leur souveraineté nationale. Aucune des résolutions 194, 242 ou 338 de l'ONU – sur lesquelles devrait reposer tout règlement de paix – n'a été appliquée. Du Plan de partage de 1948, en passant par Oslo, jusqu'à la Feuille de route et l'Initiative de Genève, toutes les solutions suggérées par la communauté internationale relèvent désormais de l'utopie.
Ariel Sharon le claironne haut et fort: le but du redéploiement unilatéral de Gaza est de «geler» le processus de paix, de «fermer la porte à un Etat Palestinien» et de gagner du temps pour parachever dans les trois décennies à venir «la guerre israélienne d'indépendance d'Israël, de la Méditerranée au Jourdain».
Pourquoi Israël a-t-il fini par se retirer de Gaza?
– L'occupation de ce territoire, l'un des plus densément peuplé au monde (1,4 millions d'habitants sur 310 km2), représentait un fardeau très lourd pour l'économie et la sécurité d'Israël. 100 000 soldats de Tsahal devaient en permanence protéger un peu plus de 8000 colons. Toute une mise en scène a été organisée pour ce retrait, allant jusqu'à faire croire qu'Israël était au bord de la guerre civile, mais fondamentalement lâcher Gaza signifiait très clairement, pour les stratèges du Likoud et y compris certains du parti travailliste, que dorénavant tout retrait israélien de Cisjordanie était renvoyé aux calendes grecques.
Comment le départ des Israéliens de Gaza a-t-il été perçu par les Palestiniens?
– Pour la majorité d'entre eux, chaque centimètre carré de leur territoire qui est libéré constitue une victoire symbolique. Mais les Palestiniens s'attendent au pire pour la Cisjordanie et Jérusalem. Car ils voient bien que Sharon place leurs villes et villages dans des cantonnements enfermés par le mur de béton. La Cisjordanie sera ainsi constituée de bantoustans enclavés dans le territoire israélien et contraints à une sorte d'autarcie les faisant dépendre de l'aide internationale. Dans cette perspective, Sharon peut bien démanteler les colonies sauvages situées au coeur des zones palestiniennes.
Voyez-vous l'Autorité palestinienne reprendre le contrôle de la bande de Gaza?
– Aujourd'hui, Gaza se trouve au bord de la guerre civile. A terme, cette poudrière deviendra un «Hamas land», une mini république islamique. L'Autorité palestinienne ne dispose d'aucun moyen militaire, politique ou économique pour s'y imposer. Elle devra forcément se replier sur la Cisjordanie. Le gouvernement israélien voit des avantages immédiats dans la mainmise du Hamas sur Gaza. Cela peut justifier des représailles à chaque attentat commis en Israël ou en Cisjordanie contre les colonies. Et l'établissement d'une mini république islamique discrédite la revendication d'un Etat palestinien démocratique et laïc.
Le cabinet Sharon estimepourtant que le Hamas ne devrait pas participer aux électionslégislatives de janvier 2006.
– Ni Sharon, ni Mahmoud Abbas ne peuvent empêcher le Hamas de prendre part au scrutin. Ils le savent très bien. C'est plutôt la formation islamiste qui va poser ses conditions. En échange de la reconduite de la trêve avec Israël, le Hamas veut que l'Autorité palestinienne obtienne la libération des prisonniers politiques palestiniens, dont la majorité vient de ses rangs. Le Hamas exigera aussi la libre circulation de ses candidats entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, ce qu'Israël devrait refuser. Le report des élections en janvier 2006 (initialement prévues en juillet 2005, ndlr) par Mahmoud Abbas illustre bien l'impasse dans laquelle se trouve le président de l'Autorité palestinienne. Sans compter les revendications de plus en plus insistantes pour le logement, le travail, la scolarisation, le droit aux soins, les libertés individuelles...
D'après vous, quel sera le résultat du scrutin dans la bande de Gaza?
– D'ici janvier, les projets de développement ne se seront pas concrétisés, pas plus qu'il n'y aura de port ou d'avions atterrissant à Gaza. Le mince territoire sera toujours fermé comme une marmite à vapeur. Avec un chômage record, les gens se jetteront dans les bras du Hamas. C'est mécanique. Le mouvement islamiste martèle que c'est la foi et la résistance de ses militants qui ont eu raison de l'occupant. L'argument est ressassé dans les mosquées, les écoles et dans la rue. Il a beau être très exagéré, il fait mouche. D'autant qu'à Gaza, la greffe de l'Autorité palestinienne n'a jamais vraiment pris. En 1993, les hommes de Tunis ont squatté les plus hauts échelons de l'administration et ils n'ont pas pu s'appuyer, comme en Cisjordanie, sur une bourgeoisie moyenne, inexistante à Gaza. Coupée de la population et omnipotente, l'Autorité palestinienne a sombré dans la corruption.
Se dirige-t-on vers une troisième Intifada?
– Tous les ingrédients sont réunis: les milliers de Palestiniens toujours emprisonnés dans les geôles israéliennes, le confinement des habitants de Cisjordanie symbolisé par le mur, la situation économique exécrable... Il ne manque que la mèche. Le nom de Marwan Barghouti pourrait servir de ralliement à cette troisième mobilisation populaire. Le capital sympathie de l'activiste du Fatah, qui purge une peine de perpétuité dans une prison de Néguev, demeure intact. Cette fois, le soulèvement aura davantage le soutien de la rue arabe, déjà exaspérée par l'occupation et le démembrement de l'Irak par les Etats-Unis et leurs alliés. Le Moyen-Orient va vers une aggravation des conflits militaires, religieux et sociaux. Le tout dans un contexte de récession mondiale.
Vous être très pessimiste.
– Je n'attends plus rien des solutions parachutées censées résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais, des deux côtés, il existe des mouvements de la société civile – encore embryonnaires – qui travaillent à une paix juste. Cela mettra le temps qu'il faudra. I
Quotidien suisse d'information et d'opinion édité à Genève.
Le Courrier n'a pas de capital, mais il a une richesse: son lectorat. Abonnez-vous
site développé par programmers.ch
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire