mercredi 24 mars 2010

Défense de la laïcité et "retour du religieux"

DEFENSE DE LA LAÏCITE ET « RETOUR DU RELIGIEUX »
Eléments de réflexion



INTRODUCTION

De la discussion sur la pertinence ou pas d’une référence à Dieu dans le préambule d’une (désormais hypothétique) constitution européenne aux récents débats, de plus en plus vifs et passionnés, sur la laïcité, il semble que nous assistions à un retour paradoxal de la question religieuse. Si tout le monde s’accorde à noter le phénomène, il suscite néanmoins les interprétations les plus variées.

* Confrontation épidermique entre cultures : le débat se centrerait alors autour du rapport de l’Occident à l’Islam et d’une possible réforme de ce dernier qui aurait pour corollaire une meilleure reconnaissance du premier.

* Retour du refoulé : le problème s’éclairerait plutôt aux lueurs troubles de notre passé colonial, lourd de présupposés racistes .

* Crise spirituelle qu’accompagne un changement des pratiques religieuses et de leur signification traditionnelle . Nous aurions en ce cas, à prendre en compte des phénomènes apparemment hétérogènes, allant du voile aux sectes et remettant en cause nos représentations de la pratique religieuse.

* Guerre des sexes exacerbée par les défis de l’intégration, sous couvert de guerre des religions . La défense du droit des femmes et la signification accordée au voile constitueraient l’enjeu primordial de la discussion.

* Crise sociale et politique qui trouve un exutoire dans le repli communautaire ou « fièvre identitaire » . Derrière le religieux se cacherait un sentiment violent de rejet et de d’injustice, « dévoilant » une discrimination réelle et laissant la voie libre aux intégrismes les plus hostiles à la République.

* Où enfin, et nous finirons là sans avoir fait le tour, dernière hypothèse pour la route : combat séculaire et jamais achevé, des Lumières contre l’Obscurantisme, du parti de l’autonomie contre celui de l’hétéronomie, du progrès contre la régression. Le terrorisme ne ferait que confirmer dans cette perspective, que la religion est toujours source de fanatisme, tant son essence est la quête du pouvoir par la manipulation. Notons déjà qu’aucun de ceux qui privilégient un facteur d’explication, n’en font un outil unique et unilatéral de compréhension du phénomène.

Sous toutes ces questions urgentes et brûlantes, nous voudrions en dégager une, qui nous permettra d’inscrire le débat dans une réflexion plus large sur le rapport de la démocratie au religieux : faut-il revoir la place des religions dans nos sociétés démocratiques ?










I/ MISE EN PERSPECTIVE

Pour répondre à cette question, nous pouvons nous appuyer sur le travail de deux intellectuels français dont les positions fondamentalement divergentes, nous semblent être un point de départ stimulant pour la réflexion .

Marcel Gauchet, auteur d’un ouvrage désormais classique La religion dans la démocratie , défend l’idée d’une rupture radicale de la modernité occidentale avec la religion, ce qu’il nomme aussi, Le désenchantement du monde . Se plaçant dans une perspective résolument historique et politique, il dégage trois phases du rapport de la religion à l’Etat, qui ne sont à ses yeux que les trois étapes d’une sortie progressive de la religion : une phase absolutiste, qui va de la fin des guerres de religion (1598) à la révolution française (dont la constitution civile du clergé en 1792 est le paroxysme) ; une phase libérale et républicaine, du concordat napoléonien (1801) à 1975 : cette phase entérine la séparation définitive de la religion et de l’Etat, à laquelle on ne comprend rien si on ne la pense que comme l’opposition pure et simple d’une société civile atomisée d’un côté, et d’une société politique organisée, de l’autre. Tout au contraire, la séparation ouvre la possibilité d’une organisation collective de la société civile, indépendante du pouvoir politique ; il s’agit donc en réalité d’une phase libérale de conquête d’autonomie du corps social contre tout pouvoir institué prônant l’hétéronomie (qu’il soit politique ou religieux). Le principe démocratique de laïcité s’est donc imposé, non pas tant contre le sentiment religieux , que contre toute forme de justification de l’obéissance aveugle au nom de la religion. L’intérêt essentiel de la thèse de Gauchet consiste à montrer que cette opposition étayait fortement l’idéal laïc : elle donnait à l’idéal démocratique par contamination, une transcendance inespérée. « L’Etat est ainsi mis en dehors de la religion, à la hauteur de la religion. » La réduction progressive et définitive à ses yeux, de cette opposition amène la troisième phase, de neutralité démocratique (depuis 1975 ~) : l’Etat serait « devenu neutre pour de bon, en face d’une société civile assumant pour de bon, son pluralisme auto-organisateur. » Du même coup, le politique perd sa fonction de dépassement des particularités de chacun dans un intérêt commun plus élevé, pour n’être plus que le kaléidoscope de différences désormais irréductibles : « les différences non seulement sont irréductibles, mais ont une valeur en soi. » Nous serions donc dans phase de sortie de la religion, comme structure concurrente, mais par-là constituante, du politique. L’Etat moderne est forcément extra-religieux.

Régis Debray, pour sa part, récuse la pertinence d’une approche historique pour appréhender le phénomène religieux. Réfléchissant plutôt à la fonction propre de la croyance , comme le montre bien son dernier ouvrage Le feu sacré, il postule que le phénomène religieux constitue un invariant des sociétés humaines. Le religieux aurait en effet pour source, l’incomplétude inhérente à tout groupe humain : cette incomplétude de la société appelle à une transcendance qui puisse la fonder. Le religieux est donc constitutif de toute société.


Leur opposition s’articule autour de trois points essentiels :
a) un point méthodologique
b) la définition de leur objet : la religion ou religieux
c) l’interprétation des phénomènes actuels de renouveau de la problématique religieuse

Le a) relève d’enjeux épistémologiques qui ne nous intéressent pas particulièrement ici. Notons cependant que l’analyse de Gauchet ne s’applique qu’à l’Europe démocratique , dont l’évolution est comprise comme modèle de développement nécessaire et général pour les autres pays. Debray, lui, prétend dégager des universaux : il reproche donc à Gauchet de donner une signification générale à un point de vue restreint.

Plus intéressante est la manière dont ils définissent l’un et l’autre leur objet (b). Pour Gauchet, la religion est un concept qui se définit comme institution humaine régissant des pratiques sociales, sur le modèle de la religion romaine et chrétienne. Par conséquent, il y a des religions et non de la religion en général. Sa thèse le conduit néanmoins à postuler un invariant propre à toute religion : la dissociation progressive de la religion et du politique qui doit aboutir à leur séparation définitive (la France serait donc en avance dans le domaine !). Cela implique également de sa part, de distinguer la religion de la croyance. Il refuse notamment de considérer la croyance religieuse comme seule forme de croyance et reproche à Debray de faire l’amalgame entre les croyances de type religieuse et celles de nature idéologique. Il en va tout autrement chez Debray : il parle tout d’abord de « religieux » plus que de religion. Or le « religieux » est constitutif du politique en tant que transcendance assurant la cohésion du groupe. Il va même jusqu’à postuler une nécessité biologique de la croyance, fondant chez l’homme la possibilité d’agir et de parler . Son raisonnement ne se comprend bien sûr que si l’on accepte de ne faire aucune distinction entre les croyances, qui sont toutes à ses yeux, de nature religieuse : culte rendu à la Vierge et culte à Marianne, droits de l’homme et eucharistie…le tout dans un joyeux mélange ! L’avènement de la démocratie ne constitue pas une rupture d’un point de vue anthropologique. Si l’on peut envisager une sortie individuelle du religieux, on ne peut certainement penser qu’elle puisse être collective ; le modèle américain est en cela une référence utile : 97% des Américains se déclarent croyants.

D’où la divergence d’interprétation du « retour du religieux » (c) :

Gauchet : l’exacerbation du sentiment religieux n’est qu’une riposte identitaire à la modernité. Le fondamentalisme notamment, tout en donnant l’impression d’être du côté de la tradition, ne fait qu’achever l’avènement de l’individu et participe ainsi à la sortie du religieux qu’il combat. La communauté traditionnelle est destituée au nom de la conviction personnelle. Par conséquent, les « retours du religieux » ne peuvent être à ses yeux assimilés à un retour de la religion : « ils procèdent davantage d’une adaptation de la croyance aux conditions modernes de la vie sociale et personnelle. L’activation de la foi pourrait bien avoir pour rôle véritable, dans ce cas, de fabriquer de l’individu à partir de son contraire, la tradition. Elle substitue l’ordre de la conviction personnelle à l’empire de la coutume et de la communauté »

Debray : l’ « exception européenne » ne présage d’aucune évolution nécessaire, comme le montre le retour de la problématique religieuse du sens dans notre société. Il s’agirait plutôt d’une période de transition, comparable au III ème hellénistique précédant l’avènement d’une nouvelle transcendance, chrétienne en l’occurrence. D’autre part, les identités d’appartenance sont forcément des identités religieuses. Enfin la montée du fondamentalisme est la preuve même que le religieux redevient structurant. (L’exemple du kamikaze lui sert à contester la prégnance de l’individualisme européen sur d’autres cultures : volonté au contraire de fusion dans le groupe.)



II/ Le débat politique


Il ne nous reste plus qu’à tenter une rapide lecture politique de ce débat. Les récentes prises de position suscitées par la commission Stasi ont montré qu’il transcendait les clivages politiques traditionnels, tout en traçant une ligne d’affrontement forte au sein des différentes formations politiques. Ainsi se dessinent des coalitions variables. Le noyau dur de la discussion est de nature stratégique : faire une loi est-il opportun ? D’où l’opposition entre une lecture qui met en avant les principes républicains (Commission Stasi, bien accueillie à droite comme à gauche : Chirac / Fabius) et une lecture socio-culturelle (gauche altermondialiste, Sarkozy, une partie des verts…) La première position nous semble être dans la ligne du diagnostic dressé par Debray, l’autre étant peut-être plus proche de celui de Gauchet. Plus marginales évidemment sont les positions de ceux qui contestent l’idée même de séparation de la religion du politique (le FN, De Villiers, le Parti des Musulmans de France, dirigé par un proche des fonfamentalistes, Latrèche )

A la frontière du politique, la société civile réagit suivant ses différents intérêts.
D’un côté, ceux qui condamnent l’idée même de faire une loi :
- par peur d’ébranler le statu quo (Eglise catholique et le Crif ), en réveillant de vieux démons.
- par peur d’une stigmatisation des croyants, et notamment des musulmans (Mosquée de Paris, UOIF, Consistoire de Paris)
- par opposition au principe tel qu’il est compris jusqu’à présent, au nom du multiculturalisme et de la tolérance (Ramadan, écoles privées…).
- par contestation de la pertinence du diagnostic, qui occulte les vrais problèmes en faisant des amalgames

De l’autre, ceux qui sont pour :
- une grande partie du corps enseignant qui demandait de plus longtemps des directives claires + Associations laïques.
- les écoles religieuses cathos qui n’ont pas envie de voir « rappliquer » les jeunes filles voilées
- les jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile et qui attendent un soutien fort des institutions publiques pour oser revendiquer ce choix. Argument qui fait dire à R. Schwarz (rapporteur de la commission) que la loi vise aussi à défendre les plus faibles.
- Les racistes de tout bord aussi !






Hélène Harder ( 30/ 01/ 04)

































CHIFFRES ET LEXIQUE





La querelle des chiffres

Il n’est pas inutile au moment où beaucoup de pays s’étonnent que la polémique fasse rage en France de rappeler que les communautés musulmanes et juives françaises sont les premières d’Europe :
Les chiffres sont cependant difficiles à établir puisque aucun recensement sur critère religieux n’est permis. Ils sont pourtant un enjeu important du débat : les uns parlent de plus de 5 millions de musulmans en France, d’autres de seulement 3 millions 5.
La population de confession juive est estimée à 700 mille personnes.
Nous ne savons pas dans quelle mesure ces chiffres ne font pas amalgame entre l’origine culturelle et la pratique cultuelle.


Religion et culture

Il arrive en effet souvent que journalistes et hommes politiques (le dernier impair de Sarkozy parlant de « préfet musulman » n’a rien d’anodin) fassent des confusions qui brouillent les pistes. Au risque de rappeler des banalités, il est important de distinguer :
Les personnes immigrées des étrangers : une personne immigrée a la nationalité française bien qu’elle ne soit pas née sur le sol français. Un étranger peut vivre et travailler en France uniquement en possédant un titre de séjour qui ne peut être définitif. Un jeune né en France de parents immigrés n’est pas un immigré, mais un Français.
Les personnes de culte musulman et les personnes issues d’une culture musulmane : on peut venir d’une famille musulmane sans être pour autant croyant soi-même ni pratiquant. Enfin, les immigrés des musulmans : on l’oublie souvent mais cette équation n’est pas strictement applicable. Tous les immigrés ne sont pas issus de pays musulmans, et même ceux-là peuvent ne pas être croyants. Ils seront marocains, turcs, algériens sans être musulmans.
Ces confusions sont souvent justifiées par l’argument d’une collusion entre l’identité culturelle et l’identité religieuse. Mais il n’est pas sûr que nous n’ayons pas à lutter contre cette tendance qui enferme les uns et les autres dans des identités qu’ils n’ont pas forcément choisies et entraîne des solidarités contraignantes. Peut-on avoir la foi comme on possède une culture ? Relèvent-elles des mêmes exigences ? (cf plus haut)




Le voile

Le port du voile n’a pas été inventé par l’Islam mais correspond à une coutume très répandue chez les Perses, les Grecs, les Romains et les Chrétiens . Il permettait de désigner la femme de haut rang, l’épouse légitime, la mère par opposition à la prostituée.
Le terme le plus souvent utilisé est celui de d’hijabe qui signifie à l’origine « obstacle, rideau entre une chose et une autre. »: il reprend le mot du Coran de la fameuse sourate XXXIII , 28
« Dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants, de ramener sur elles le voile ; elles seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées »
L’interprétation est loin de faire l’unanimité dans le monde musulman, d’autant plus qu’il devint aussi un symbole politique. Ainsi Atatürk (1924) en Turquie et le Shah d’Iran (1935) l’interdisent. Il revient en force avec la Révolution iranienne en 1979. Le Tchador, mot persan et non arabe est imposé aux femmes : voile noir loin de la tradition maghrébine qui va faire fureur à ce moment là dans le monde arabe. Dernière variante : la burqa en Afghanistan.
Il serait téméraire de recenser toutes les significations que peuvent prendre le port du voile ; on peut cependant les ranger dans quatre grandes catégories :
- culturelle : marquage du corps de la femme qui correspond à la maîtrise de la sexualité masculine.
- Religieuse : signe de soumission à Dieu
- Communautaire :signe d’appartenance à la communauté de culture musulmane.
- Et plus récemment, identitaire et individualiste : comme le montre le cas des eux jeunes filles d’Aubervilliers .



Visible, ostensible et ostentatoire :

Derrière ce qui est apparu à bcp comme du pinaillage sur les termes, se trouvent en réalité des nuances importantes :
L’adjectif retenu par la commission est finalement « ostensible » : « les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels qu’une grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont par exemple médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatma ou petits Coran » M. Long et Weil traduisent en parlant de « signes objectivement extériorisés »
Cela implique d’un côté, que la seule volonté manifeste de provoquer en affichant de manière ostentatoire un signe ne suffit à en motiver l’interdiction. Le voile, même porté sans provocation et prosélytisme, est donc interdit de l’école. Mais d’un autre côté, interdire les signes dits visibles aurait été une atteinte à la liberté de conscience, dans la mesure où il aurait fallu interdire jusqu’à la chaîne qui dépasse malencontreusement du chemisier !
Reste enfin, un argument juridique de poids : l’utilisation de l’adjectif visible est tout simplement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 9 assure très clairement « le liberté de manifester sa religion », sauf en cas d’atteinte à « la protection de l’ordre ou la protection des droits et des libertés d’autrui. » Elle aurait donc pu invalider la loi.
Par-là même, apparaît le raisonnement de la commission : le port de signes ostensibles serait une atteinte non seulement à l’ordre mais aussi à la liberté de conscience d’autrui. Les signes discrets sont en revanche permis, puisqu’ils correspondent à liberté d’exprimer sa religion sans porter atteinte à la liberté d’autrui.
Bref, pour le coup c’est vraiment une question de nuance !




















TEXTES ET ARTICLES (version papier)




Lors de la première séance, nous nous étions demandé pourquoi le débat sur la laïcité donnait à au problème de son application à l’école une place centrale et souvent polémique. En dehors des raisons historiques que tout le monde a en tête, Catherine Kintzler, auteure de la République en questions, a réfléchi à ce trait marquant de la laïcité française et tenté d’en donner une explication : selon elle, l’école est un lieu spécifique qui demande une application spécifique du principe. Ses thèses qui l’amènent à des positions contestables, peuvent néanmoins nous aider à poser le problème.



TROIS COMPOSANTES DE LA LAÏCITE

« Trois composantes se conjuguent pour former le principe de laïcité : la première s’applique à la société civile et la deuxième à la puissance publique. Seule le troisième qui s’applique à l’école républicaine, est problématique et suppose pour être fondée, que l’on sorte du champ strictement juridique. Penser une école laïque, ce n’est pas penser lieu de tolérance, mais un lieu autant que possible, soustrait à la société civile (…)
La société civile est le lieu de coexistence des libertés, ce qui suppose la tolérance. Une telle tolérance n’est possible que si un droit commun règle la coexistence des libertés : il est nécessaire que les choses relatives à la croyance et à l’incroyance demeurent privées et qu’elles jouissent des libertés civiles. Elles peuvent se manifester en public mais elles ne deviendront jamais affaire publique, objet de discours officiel, que si elles sont à l’origine d’un délit ou d’un crime relevant du droit commun. Ainsi, c’est le silence et la négativité de la loi qui règlent la tolérance civile, qui la rendent possible. Par exemple, on interdit les sacrifices humains non pas parce qu’ils peuvent être des signes religieux, mais parce que le meurtre en général est interdit. Voilà pour la version faible de la laïcité, vue du côté de la société civile.
Ce premier concept en réclame un second, plus fondamental encore : c’est la laïcité vue du côté de la puissance publique.
La puissance publique est garante de la tolérance civile : c’est justement pour cette raison qu’on ne peut pas lui appliquer cette même tolérance. Comme par exemple, le droit de jouir de la liberté religieuse. (...) La puissance publique est donc tenue à la réserve, précisément pour que la société civile puisse jouir de la tolérance.
A présent, nous avons deux idées : liberté privée du côté de la société civile, réserve du côté de la puissance publique. La seconde, plus contraignante, st garante de la première.(…)
Or un troisième concept, plus problématique, plus élaboré et plus fondamental apparaît à travers la question de l’école. Le problème peut se formuler ainsi : les deux premiers concepts sont-ils suffisants pour penser la laïcité à l’école ? La réponse est non. Ils sont nécessaires mais pas suffisants.
En tout état de cause, on voit que la laïcité scolaire se présente sous forme de problème. Le clivage entre maître et élève épouse-t-il le clivage entre fonctionnaire et administré, entre puissance publique et société civile ? L’élève est-il comparable dans son rapport au maître, au citoyen dans ses rapports avec l’administration publique ? A mon avis, non. (…)

II/ SPECIFICITE DE LA LAÏCITE SCOLAIRE

Pourquoi l’école devrait-elle être soustraite à la société civile ?
Voyons d’abord les raisons juridiques. La première c’est que l’école est obligatoire. Or les élèves qui fréquentent l’école n’ont pas choisi leurs camarades, e c’est d’ailleurs à ce titre que l’école est un lieu d’intégration et d’égalité. Tolérer une manifestation religieuse de la part des uns, c’est l’imposer aux autres qui ne peuvent s’y soustraire. (…donc interdiction de porter des signes religieux ou politiques.)
La seconde raison juridique est que les élèves, pour la plupart, sont des mineurs et que leur jugement n’est pas formé. Ceux qui prétendent qu’ils doivent disposer de la liberté dont jouissent les citoyens avancent une monstruosité. Ils supposent en effet que les élèves disposent d’une autonomie qu’ils n’ont pas encore conquise : on devrait leur asséner le poids de la liberté sans leur en avoir donné la maîtrise, en supposant qu’ils trouvent spontanément en eux la force suffisante pour préserver cette autonomie. Faire défiler les groupes de pression devant les élèves ( concept de laïcité ouverte qui peut déboucher sur le relativisme : Darwin contre l’Eglise, par exemple, à chacun de juger.),c’est se tromper sur la liberté de l’enfant, car le liberté dépend de la puissance de chacun à se préserver de l’oppression et de l’aveuglement. (…)
Mais ce n’est pas seulement pour des raisons juridiques que l’espace scolaire doit être soustrait à la société civile et à toutes ses fluctuations. L’école doit échapper à l’empire de l’opinion pour des raisons qui tiennent à sa nature essentielle, c’est-à-dire à ce qui s’y fait. Il faut donc en venir à la question du savoir : l’école a pour impératif de rester laïque et d’exiger le réserve de la part de tous ceux qui s’y trouvent en vertu de la nature même de ce qui s’y transmet et de ce qui s’y construit. Ce qui nous renvoie également à la question de l’autorité.
L’école est un espace où l’on s’instruit des raisons des choses, des raisons des discours, des actes et des pensées. On s’en instruit pour acquérir la force et la puissance, je veux dire celle qui permettent de se passer de guide et de maître. (…) Il faut échapper à la force de l’opinion, échapper à la demande d’adaptation, échapper aux données sociales pour construire sa propre force. L’école n’a pas pour tâche première d’ouvrir l’enfant à un monde qui ne l’entoure que trop : elle doit lui découvrir ce que ce monde lui a caché. Il ne s’agit d’adapter, ni d’épanouir mais d’émanciper. De plus, l’école doit offrir à tout enfant le luxe d’une double vie : l’école a l’abri des parents, la maison à l’abri du maître. ( …)
Donc la laïcité de l’école requiert des idées plus hautes qu’une simple forme juridique. Elle consiste à écarter tout ce qui est susceptible d’entraver le principe de libre examen, tout ce qui peut faire obstacle au sérieux de la libération par la pensée. Il est clair que celui qui arrive en déclarant ostensiblement, qu’il n’y a pour lui qu’un livre, qu’une parole et que le vrai est affaire de révélation, celui-ci se retranche de facto d’un univers où il y a des livres, des paroles, d’un univers où le vrai est affaire d’examen. Il faut donc commencer par le libérer : qu’il renoue ensuite, s’il le souhaite, avec sa croyance, qu’il le fasse lui-même par conclusion, non par soumission. »

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