jeudi 25 mars 2010

Suisse/ De la première initiative contre les Juifs, 1893, à la dernière contre les musulmans, 2009

Pour poursuivre le débat sur l’initiative anti-minarets

Chronique, Ahmed BENANI
Lausanne, 29 novembre 2009


De la première initiative contre les Juifs, 1893, à la dernière contre les musulmans, 2009

C'est Delley Jean-Daniel ( jd ) - 08-02-2002 - Politique fédérale - DP n° 1504 – Permalien, qui rappelle que" le projet d'abolir l'interdiction de l'abattage rituel soulève les passions. Entre liberté religieuse et traitement digne des animaux, tout un champ pour les dérapages. Les premières passes d'armes autour de la révision de la loi fédérale sur la protection des animaux ne laissent rien présager de bon. Le projet d'abolir l'interdiction de l'abattage rituel réveille en effet des passions troubles. Celle des fondamentalistes de la protection des animaux, qui dépeignent avec horreur les derniers moments des bêtes saignées sans étourdissement préalable. Celle des Israélites qui ne résistent pas toujours à la tentation de taxer d'antisémites les adversaires de l'abattage rituel. "Cette interdiction apparaît dans le droit suisse, avec rang constitutionnel, en 1893, par le biais d'une initiative populaire et contre l'avis du Conseil fédéral et du parlement. C'est moins le souci de protection des animaux qu'un réel sentiment antisémite qui explique ce premier succès dans l'histoire de l'initiative."

La dernière initiative votée à la majorité du peuple 57,5%, date du 29 novembre 2009 et, accouche d'une loi qui interdit la construction des minarets. Sur une durée de 116 ans deux mesures scélérates ont frappé deux minorités religieuses, issues du premier et du dernier monothéisme.

Il y a pour le moins matière à réflexion sur la récurrence des exclusions et des discriminations qui frappent deux traditions religieuses, au nom de la sacro sainte chrétienté de la Suisse ! (la référence à la tradition judéo-chrétienne de la Suisse est post 1945, chacun en comprendra le sens).
Aujourd’hui, les initiatives annoncées, voire programmées par l’UDC, le l’UDF, Le PEV et le PDC, postulent l’interdiction de la burqua, du voile, des carrés musulmans dans les cimetières chrétiens. Le point d’orgue sera sans doute, dans cette logique, le lancement d’un programme de purification ethnique. En somme le triomphe de la bêtise humaine et du populisme raciste !

Réagir, pourquoi, au nom de quoi, voire comment !

« Me voilà Juif. Pas par la religion, ni par les usages. Est-ce par la race ou bien seulement par la grâce de mon nom, transmis intact par mon père ? En tout cas je suis Juif aux yeux des autres, les Juifs et les non-Juifs mais, à mes yeux dont le regard ne m'importe pas moins, moi qui ne pratique aucune religion, ne respecte aucune tradition, ne fais partie d'aucun groupe, d'aucune coterie, d'aucun réseau, dans quel sens suis-je Juif ? ».
C’est ainsi que s’exprime Thierry Lévy, dans son livre Lévy oblige, (Grasset, 2008).
J’ai envie de le parodier et de mettre musulman au lieu de juif et plus encore athée musulman pour donner plus d’assise à mon identité. Ce concept d’identité, si cher à la police, mais qu’on nous prie de décliner à chaque circonstance.
Déclinons donc, avant d’aller plus loin ; moi, Ahmed BENANI, marocain d’origine, suisse depuis quarante ans par la grâce de la Confédération Helvétique, je déclare que mon pays d’adoption a la classe politique la plus bête du monde. Elle vient d’en administrer la preuve depuis le 29 novembre 2009 et continue, en voulant expliquer à la terre entière le sens de la démocratie directe (la meilleure du monde) et le sens de la votation de ce même 29 novembre qui n’est, selon elle, pas du tout contre l’islam !


Comprendre le rejet de l’Islam
Comment comprendre ces avancées spectaculaires de l’anti-islam qui s’opèrent, alors que l’islam suisse et européen dans sa très grande majorité, est une religion aujourd’hui, qui apprend à se désincarner et des populations musulmanes qui négocient leurs nouvelles identités, y compris dans la « confrontation » avec les expressions des autres monothéismes, la sécularisation, l’incroyance.
Ce n’est pas tout à fait dans ces termes que l’on s’exprime majoritairement sur l’Islam particulièrement dans les médias, la population générale, la classe politique de Suisse.
Je dirais, que c’est au moment où les frontières entre « grandes » civilisations s’effacent que l’on voit apparaître des théories et des mouvements qui visent justement à redonner vie à ces fantômes, à ces phantasmes, à la fabrication d’un imaginaire social helvétique sur l’islam, le monde musulman, l’Empire Musulman, l’Axe du Mal dont on retrouve les agents, les cellules dormantes ou actives jusque dans nos villes.
Tout passe désormais par un inventaire classique ou une invention entretenue : les minarets, le voile, le terrorisme, le statut de la femme, les carrés musulmans, les mosquées officielles ou les lieux de culte clandestins, les boucheries Halal, le clash avec les autres cultures, bref, le communautarisme sous toutes ses formes ethniques et religieuses.
Souvent sans avoir dit ce qui peut être considéré comme le b.a.-ba d’une altérité religieuse ou culturelle, sans connaître les aspects complexes de la foi musulmane, les textes fondateurs, on est d’abord et avant tout dans des nouvelles frontières, de nouveaux ghettos, des différences incompressibles.
Le but est, bien entendu, de fixer les esprits, les comportements et les discours. Ce « Nous » et les « Autres » est affirmé avec d’autant de véhémence et de récurrence qu’il faut l’inventer sans cesse comme s’il était vital pour exorciser le mal, de créer au cœur de l’Occident un homo islamicus, comme objet de focalisation de l’imaginaire. Or, pour reprendre le titre d’un livre : Monsieur Islam n’existe pas (Dounia BOUZAR, Hachette, 2004)
Il serait pour le moins fastidieux d’énumérer l’interminable liste des doléances, comme celle d’ailleurs des acteurs et producteurs de ce discours en passe d’accoucher de quelque chose de phobique

Je préfère dans cette courte présentation, mettre en place quelques repères ou, balises pour mieux cerner les aspects de ces rhétoriques et dans le fond en démontrer la vacuité.
Contre toutes les affirmations péremptoires que l’on trouve sous la plume d’observateurs, de spécialistes de l’islam, d’animateurs d’associations, de partis politiques, de ligues de défense de la laïcité etc., sur la confusion du temporel et du spirituel en islam : on peut déjà affirmer et démontrer que :

L’islam ou les islams ne définissent ni les comportements du milliard de musulmans, ni les structures économiques, sociales et politiques dans lesquels vivent ces musulmans.
C’est dire qu’il faut réfuter toutes les approches globalisantes, totalisantes, pour ne pas dire totalitaires quand on parle de l’Islam, et ce qui vaut pour l’Islam est également vrai pour les Christianismes et les judaïsmes. Personne n’aurait l’outrecuidance de couler dans un même moule, pour ensuite en tirer des conclusions définitives, le comportement du milliard de chrétiens ou des vingt millions de Juifs, sans parler du Bouddhisme, de l’Hindouisme et des autres expressions de la religiosité dans notre monde !


En ce qui concerne l’Europe, la Suisse et tous ceux qui revisitent l’islam ou les islams selon leur tempérament ou en puisant dans les lieux communs, les préjugés de toutes sortes, d’entrée de jeu, se pose une question incontournable et fondamentale et à laquelle je vous invite à réfléchir :

Comment s'effectue aujourd'hui l'intégration du facteur religieux dans les sociétés postmodernes, où la séparation entre l’Église (la religion) et l’État, (même dans un pays officiellement laïque comme la France), n’est pas toujours évidente ? Pourquoi, plus généralement, la place de la religion demeure-t-elle problématique. ?
En Suisse comment comprendre qu’il n’y ait que deux cantons laïcs : Genève et Neuchâtel, le rôle du PDC ou du Parti Evangélique

Toute approche sérieuse de ces questions ne peut relever que de la démarche anthropologique, c’est-à-dire d’un point de vue qui s’interroge non seulement sur les valeurs et les pratiques qui sous-tendent les différentes prises de position sur la question du voile ou les autres signes de « sur-visibilité » de l’islam, considérés comme révélateurs d’une logique plus globale, mais également sur des notions cardinales, telles que la religion, la laïcité, l’intégration, le vivre ensemble.
Il me paraît donc indispensable de traiter de quelques exemples pris en Suisse, pour aborder justement ce qui est souvent laissé de côté par ceux qui s’expriment régulièrement et publiquement sur ces questions relatives à l’Islam.
Depuis le début des années 1980, un certain nombre de signes se sont accumulés dans le paysage européen qui sont à l'origine des développements actuels de la querelle sur la place de l'islam dans cette région et sur les limites à ne pas transgresser ; comment déconstruire cette question autrement que ne le fait l’UDC et se alliés ou partisans?

Le regretté Jacques Berque déclarait, il y a encore peu que

"L'islam pâtit en effet dans l'opinion mondiale d'un discrédit qu'il ne partage ni avec le Japon, plus redouté que réprouvé, ni avec la Chine, formidable client à ménager, ni avec l'Inde, géant que son penchant métaphysique fait tenir pour inoffensif. Le musulman lui demeure l'éternel sarrasin, rendu plus dangereux encore par une modernité à quoi il n'accéderait que pour le pire".

C’est bien la crainte de Mesdames et Messieurs les initiants anti-minarets et membres de l’UDC!
C’est bien cette peur du Sarazin prêt à franchir les Alpes qui tenaille l’UDC et ses amis
C’est bien le souvenir de Poitiers en 732 et, donc c’est bien le destin de M. Blocher de se sentir proche de la geste de Charles Martel, bouter les musulmans hors de Suisse
À moins que ces même initiants ne songent encore à Isabelle-la-Catholique et Ferdinand de Castille en 1492 qui chassèrent les musulmans et les juifs d’Espagne.



Je veux bien concéder qu’on puisse détester l'islam, ne pas aimer ses adeptes, encore faut-il savoir pourquoi? Marx parlait de la religion comme de l'opium du peuple et Freud de cette même religion comme expression de la névrose collective. L'UDC et l’UDF ne nous disent pas le pourquoi de leur peur de l'islam, sinon de façon phantasmatique ou phantasmée (envahissement du territoire, application de la chari’a, prosélytisme, violences, etc.), tout en déclarant haut et fort qu’ils n’ont rien contre un islam suisse bien intégré. Alors quoi? Paradoxe, contradiction, ignorance ou vulgaire populisme pour engranger des voix pour les votations et élections à venir. C'est à l'UDC, premier parti politique suisse de s'expliquer. Moi, comme Bourdieu, je me limiterai aux news (faits précis) non aux views (discours idéologiques).

Revenons aux réalités plus prosaïques, de quoi s’agit-il quand on parle d’Islam européen ou d’islams d’Europe et en l’occurrence d’islam suisse. Les statistiques, même si elles datent un peu, sont, on ne peut plus claires. Voici les chiffres: en 1970, 16’300 musulmans habitaient en Suisse; en 1980, 56’600; en 1990, 152’000; en l’an 2000, 310’000; enfin en 2009, les musulmans sont entre 350’000 et 400'000 (principales origines: Balkans et Turquie, donc majoritairement européens). En termes de pourcentage, les musulmans représentent aujourd’hui le 5% de la population suisse, contre 0,26% en 1970. De plus, il suffit de considérer que la moitié des musulmans a aujourd’hui moins de 25 ans et que le taux de natalité est de 2,44 enfants par couple pour réaliser que la communauté musulmane formera bientôt le 10% de la population helvétique. Enfin, il faut préciser que 12% des musulmans, en l’an 2000, détenaient un passeport suisse (cf. Religioscope, http://www.religion.info/.)

Comme effets de sa mondialisation, de son « passage à l’ouest » et de l’aspect irréversible de ces effets, l’islam suisse, implanté ou transplanté, est bien suisse et il est ici chez lui comme toutes les autres expressions du religieux et du non religieux
À moins que, comme jadis avec l’étoile Jaune pour les juifs avant la solution finale, l’UDC ne recommande pour les musulmans le port du brassard vert et le croissant de lune pour en faire Dieu sait quoi !


J’ai toujours une très grande appréhension à entrer dans le monde de la théologie qui n’est pas le mien. Mais comme on nous force à débattre d’un thème à la fois brûlant et fondamental, la place de l’Islam dans la société suisse, je le fais très volontiers à partir du point de vue de l’anthropologie politique et plus généralement des sciences sociales.

Je reprends ici la comparaison soulevée, qui vaut ce qu’elle vaut par Viviane Liati dans son livre (ed. mille et une nuits, 2004 : « de l’usage du Coran » ): on peut décrire une voiture à partir de la carrosserie, de sa ligne, de sa couleur, mais si l’on veut comprendre comment ça marche, il faut mettre les mains sous le capot. Le théologien est le mécanicien de la religion, il sait comment ça fonctionne ! Or je ne suis pas théologien. Je pose par contre aisément en qualité de politologue, pour contribuer modestement au débat qui nous préoccupe, quelques balises ou repères.

"-En Europe, la démocratie s’est constituée après la subordination du religieux au politique
-La tolérance civile (au sens de non-religieux) est la matrice de toutes les libertés d’opinion.
-Une société est « civile » quand on y protège la liberté de croire ou de ne pas croire
-Quand les croyants n’y sont pas supérieurs aux incroyants
-Quand le temps social n’y est pas ordonné par les matines, les vêpres, ou les appels des muezzins (depuis des minarets ai-je envie d’ajouter !)
-Quand la perte de la foi n’y est pas vécue comme un crime spirituel et un scandale social
-Quand on accepte, sans sursaut de honte et d’horreur que l’homme puisse vivre, s’il le souhaite, sans l’idée de Dieu
-Quand le blasphème n’est plus vilipendé et que la mécréance n’est plus châtiée
On est alors dans une métaphysique civile et démocratique. Autrement non !"

Or dans les espaces musulmans y compris européens, de manière générale, voire dominante, selon les maîtres penseurs de l’UDC, il est affirmé péremptoirement que les gens ne peuvent se passer des symboles et des mélodies de la religion, de ses rites, de ses usages, de ses bienséances, sans être désignés comme des énergumènes sans foi, ni loi.
Il s’agit pour l’UDC, d’une essence ou d’une culture figées à tout jamais

Ces mêmes maitres penseurs de l’UDC décrètent que dans ces mêmes espaces islamiques, la foi n’est pas individuelle mais une évidence collective ! Un conformisme sur lequel le regard d’autrui, du voisin, du parent, du passant pèse de tout son poids !

-La liberté humaine, quels que soient ses mérites et ses attraits, est restée au-dessous du service de Dieu.
-On diffuse le sentiment fondé ou pas, que le musulman ne cherche pas à avoir un pouvoir réel sur les choses. La décision finale revient toujours à Dieu, murmure-t-on à chaque occasion.
-La politique (pris ici au sens premier, des affaires de la cité) n’est pas du ressort de l’homme.
Il y aurait comme une complainte éternelle dans le cœur des croyants :
-Qui nous dictera nos préceptes de vertu si Dieu nous abandonne ?
-Comment ne pas sombrer dans la folie s’il n’y a pas de juge suprême pour nous arrêter dans nos excès ?
-Comment la charité ne finira-t-elle pas par s’éteindre dans nos cœurs ?
-Qui nous retiendra sur la pente de nos mauvais penchants ?
-Comment reconnaîtra-t-on le vice ?

Dès lors pour l’UDC, la question devient limpide, que peut-on faire avec de tels énergumènes, sinon les inciter ou les forcer à retourner dans leur Arabie natale !



Mais revenons à notre propos : Islams d’Europe – Islam Suisse.

On peut ergoter à l’infini sur le passage de l’islam à l’Ouest, non comme le souligne Olivier Roy, sous la forme d’une conquête ou de conversions massives, « mais par un déplacement volontaire de populations musulmanes, venues chercher du travail ou de meilleures conditions de vie en Occident ». Mais, même en tenant compte de cette transplantation récente de populations musulmanes (années 60-70), ce « passage » de l'islam à l'Ouest, n’est qu’un aspect du problème qui a tendance à occulter l’autre aspect quasi fondamental de l’islam implanté ou islam européen, l’islam balkanique et turc par exemple, qui retient particulièrement notre attention en Suisse parce qu’il est majoritaire ! (cf. chiffres cités ci-dessus)
Mais quoiqu’il en soit et sous quelque angle que l’on considère cette problématique, elle s’inscrit dorénavant dans le phénomène de la mondialisation. Ainsi la prise en considération ou le rappel pour ceux qui souffrent d’une amnésie ou de négationnisme de l’existence d’un islam turc, balkanique, tchétchène, rend caduc toutes les visions culturalistes et essentialistes.

Quelques conclusions

D’un mot cependant Il convient de rappeler qu’il y a eu une époque où l’on avait le droit de critiquer l’entourage du Prophète, où les controverses religieuses se faisaient avec une grande liberté de ton, où des érudits musulmans glorifiaient l’athéisme. Aujourd’hui, nombre de débats relatifs au fait islamique présentent leur problématique sous la forme d’une unique alternative : l’abandon de la foi ou l’expression intégraliste.

La culture arabo-musulmane se désignerait, selon les tenants du dogme, par un centre massif. Ce centre ou ce noyau, c’est le Coran. C’est à partir de ce centre que les normes, les modèles de pensée et de légitimation des écritures ont été déterminés. Toute entreprise dans le domaine arabo-musulman a dû être confrontée, de façon implicite ou explicite, au texte coranique qui est devenu l’instance de légitimité, le modèle suprême de référence, la parole fondatrice. Toutes les écritures, médiévales et – en partie – modernes, se sont raccrochées au texte fondateur, depuis l’épître morale jusqu’au texte de grammaire. Cela signifie que nous sommes devant une parole-écriture qui se refuse à toute imitation, mais se pose, en même temps, comme modèle.
Parallèlement à cette approche dogmatique à cette doxa, la lecture critique des textes de la tradition religieuse (dont je me réclame avec de nombreux intellectuels croyants ou non) procède à revaloriser les concepts, les notions et les imaginaires qui ont pris, dans l’histoire de la pensée islamique, une teinture absolue, stéréotypée et immuable. Réfléchir sur les structures théologiques et anthropologiques constitutives de l’histoire de cette pensée veut dire « transgresser » les terminologies, les concepts et les habitudes intellectuelles issues de visions théologiques qui ont « mythologisé » les textes fondateurs en les hypostasiant dans des cadres dogmatiques intangibles. Transgresser la couche sémantique du texte fondateur (le texte « sacré ») ne signifie pas son rejet pur et simple, mais son évaluation par le biais d’outils cognitifs empruntés aux sciences humaines et sociales (linguistique, histoire, anthropologie, herméneutique, psychologie..). Ces outils servent de clef critique pour ouvrir les serrures de la tradition religieuse encore fermées et verrouillées par un savoir théologique canonisé qui empêche de dévoiler son aspect épistémologique et anthropologique.
À côté d’un discours confessant, il doit être possible de parler de l’islam comme d’une expression religieuse parmi d’autres, rien de plus. C’est dans le va-et-vient permanent entre ces deux pôles – pensée confessante et pensée non confessante – qu’une majorité de fidèles dans le judaïsme, le christianisme et bien d’autres religions encore, ont accepté de cheminer. Leurs représentants l’ont fait avec difficulté, et parfois incomplètement, comme le montrent aux États-Unis les débats récents sur le créationnisme. Le mouvement est timide dans le monde majoritairement musulman, mais il n’est pas inexistant (voir Abdou FILALI-ANSARY, Réformer l’islam ? Une introduction aux débats contemporains, Paris, La Découverte, « Textes à l’appui / islam et société », 2003). Il peut trouver une impulsion décisive à partir de l’Europe. La condition est de reconnaître que, par le passé, il n’y a pas toujours eu entre musulmans « acceptation consensuelle » sur des « règles immuables issues des sources authentiques de l’Islam : le Saint Coran et la Sunna (tradition du Prophète). L’ardeur à relever le défi était forte, il y a un siècle, lorsqu’un Muhammad ‘Abduh n’hésitait pas à croiser respectueusement le fer avec un Farah Antun, fondateur de la revue Al-Jami’a, dans laquelle ce dernier publiait les textes traduits de Voltaire, Rousseau, Hugo ou Darwin. Ne pas inviter à prolonger ce geste consiste à tenir une partie de l’humanité à l’écart d’un travail de l’esprit où la parole n’est jamais close.



A quoi bon «quêter ou rechercher la science jusqu'en Chine» (Hadith), si d'un autre côté les jurisconsultes, oulémas et autres théologiens affirment que tout est dit dans le texte coranique? Plutôt que de voir ce qui, dans l'épistémè coranique, précise une manière de voir et connaître le monde en harmonie avec la connaissance scientifique, les théologiens musulmans ont eu tendance au cours du XXe siècle à valider les découvertes scientifiques par versets interposés et cherchent à repérer dans tel ou tel verset la découverte du rayon laser, l’enrichissement de l’uranium ou le travail sur des cellules souche. Ouvrons ici une parenthèse pour rappeler que Dans la controverse qui l’opposa à Ernest Renan, en 1882, Jamâl al-Dîn al-Afghânî demandait à son interlocuteur de ne pas condamner l’islam de l’avenir, au nom d’un passé glorieux, tout en reconnaissant les blocages du moment :
( Ernest RENAN, L’Islam et la science (avec la réponse d’al-Afghânî), Montpellier, L’Archange Minotaure, 2003, p. 40).
Le propos est frappé au coin par une sorte de fascination pour le scientisme dont les Européens semblaient incarner la quintessence. Il alimente aussi la thèse dite de la « double vérité » : aux humbles la foi du charbonnier, aux élites l’accès à la philosophie. Jamais il ne fut traduit en arabe, et ceci n’est pas un détail.

Je renvoie mes lecteurs aux annexes ci-après, annexes qui prolongent ma réflexion et esquissent des réponses sérieuses aux inquiétudes légitimes nées au lendemain de la votation du 29 novembre 2000




Annexes :
01.12.09 - 09:10
Olivier Roy, spécialiste de l'Islam et professeur à l'Institut européen de Florence, est l'invité de Matin Première. Au lendemain du choix des Suisses d'interdire la construction des minarets, la place de l'Islam dans nos sociétés semble remise en cause. Etat des lieux.
"On a beaucoup de mal à gérer le retour du religieux, et pas seulement la visibilité nouvelle de l'Islam", explique Olivier Roy. De plus, nos constitutions et les principes de laïcité et de séparation de l'Eglise et de l'Etat font que nos gouvernants ont beaucoup de difficultés à légiférer sur la question. Il y a donc une inquiétude face à ce retour du religieux qui fait que ce sont soit les tribunaux soit des initiatives populaires comme les votations suisses qui s'occupent de la question du religieux, poursuit notre spécialiste. "Le problème avec les votations c'est qu'elle se font sans prendre en considération les droits fondamentaux sur lesquels se construisent nos démocraties", dit Olivier Roy.
Pour le chercheur, le vote intervenu en Suisse introduit clairement une discrimination : "Oui, puisqu'on interdit à une religion certains signes qu'on autorise à d'autres". Il pense d'ailleurs que les effets de ce vote seront cassés sur cette base.
"Il y a un petit détail que personne ne remarque", poursuit l'invité de Bertrand Henne, "on dit 'les Suisses', pris un peu comme les représentants de toute l'Europe chrétienne face à l'Islam, or il y a quatre cantons qui ont voté non, dont les trois francophones protestants, tandis que les cantons francophones catholiques ont voté pour la loi. C'est intéressant car on trouve là une certaine conception du protestantisme qui s'oppose à une mesure discriminatoire".
De l'anti-immigration à l'anti-Islam
Y a -t-il un risque de voir le débat suisse s'exporter ailleurs en Europe ? Olivier Roy fait la distinction entre les contraintes légales -"en France, le Conseil constitutionnel s'y opposerait", dit-il- et le populisme affiché par certains représentants de partis politiques. Le "coup de génie" des promoteurs de la votation en Suisse, c'est d'avoir compris que la "visibilité"de l'Islam était le meilleur moyen d'avancer leurs thèses. Il analyse les différentes composantes de la majorité qui s'est déterminée en faveur de la loi : parmi ces composantes, dit-il, il y a "une vieille droite catholique anti-immigrés comme il en existe partout en Europe, traditionnellement anti-immigrée mais devenue anti-musulmane (...). Et ça c'est intéressant car ça veut dire que le statut de l'immigré à changé. On avait des immigrés et maintenant on a des musulmans. Ce qui veut dire que maintenant les musulmans sont là : ils ne sont plus des immigrés, ils sont européens. Donc cette attaque sur la religion est paradoxalement le constat que cette religion s'est implantée. On ne veut pas la voir, mais elle est là."
Cela dit, Olivier Roy estime que les grands débats autour de la place du religieux et des signes religieux dans la société doivent être traités en fonction de la sensibilité de chaque pays. "En France, on a une séparation de l'Eglise et de l'Etat beaucoup plus forte qu'ailleurs. Donc la loi française sur le voile est une loi qui porte sur tous les signes religieux. On a d'ailleurs expulsé de l'école dix pauvres sikhs qui ne gênaient personne, mais un beau matin leur turban a été défini comme un signe ostentatoire. En France, cela s'inscrit dans une tradition d'anticléricalisme".
Ces mouvements contr la visibilité de l'Islam ont deux composantes, dit Olivier Roy : les "chrétiens identitaires", qui plaident en faveur d'une Europe aux racines chrétiennes et qui pensent que l'Islam n'a rien à faire en Europe ; mais aussi les "anti-religieux", qui pensent que la religion n'a rien à faire dans la Cité et que l'Islam vient remettre en cause la "domestication" du religieux qui s'était opérée au cours du siècle passé. Olivier Roy n'assimile toutefois pas les laïcs à cette seconde catégorie car, dit-il, "il y a des laïcs qui ne sont pas anti-religieux".
Retour aux formes sacralisées
Le chercheur fait également le constat que l'époque est au retour d'une forme très sacralisée de la religion, finalement assez fondamentaliste. "C'est un problème largement générationnel", estime-t-il, mais "oui, de l'église catholique aux loubavitch en passant par les salafistes , ce sont les formes fondamentalistes qui marchent ; ce sont celles qui attirent les gens ; et c'est peut-être de cette question qu'il faut se préoccuper". Les phénomènes de conversion sont, à cet égard, un bon indicateur, pense Olivier Roy.
Olivier Roy résume finalement les principes qui, selon lui, peuvent guider l'action de l'Etat au regard du phénomène religieux : "d'abord la non-discrimination (...) et c'est pourquoi la votation suisse n'est pas dans l'esprit du libéralisme politique européen" affirme-t-il. On ne peut donc pas faire des lois "contre l'Islam", il faut des lois sur le religieux en général, mais comment définir le "bon religieux"? L'Etat laïc ne peut pas se permettre cette définition. Une impasse ?
Thomas Nagant





Le Temps, quotidien suisse, 2 décembre 2009
Un recours immédiat à Strasbourg est possible


Le peuple et les cantons ont donc modifié la Constitution, dimanche, pour y introduire une disposition que le jugement d’une cour internationale pourrait priver de toute portée. Pour Andreas Auer, la responsabilité n’en incombe ni au gouvernement, ni au parlement, ni aux juges de la Cour européenne des droits de l’homme, mais bien à ceux qui ont lancé cette initiative. Ces derniers, rappelle-t-il, connaissaient la non-conformité de leur texte avec le droit international.
La Constitution permet néanmoins qu’une telle initiative soit soumise au scrutin populaire. Il y a là un grand paradoxe, dûment identifié comme tel par les juristes, mais qu’aucune majorité n’est parvenue jusqu’ici à supprimer. La seule limite de fond à la modification de la Constitution est d’ap parition récente. Les révisions, qu’elles soient proposées par voie d’initiative populaire ou par un arrêté des Chambres, ne doivent pas être soumises au peuple, dit l’actuelle Constitution de 1999, si elles violent le droit international dit impératif. Il s’agit d’un petit noyau dur de normes reconnues par la communauté internationale, telles que la prohibition du génocide ou l’interdiction de la torture. La liberté religieuse n’en fait pas partie et l’initiative anti-minarets ne pouvait donc être invalidée.
Ce qui est néanmoins certain, c’est que si la Cour de Strasbourg devait désavouer la Suisse, celle-ci n’aurait pas d’autre choix que de se plier, et on doit s’étonner que le président du Parti libéral-radical Fulvio Pelli ait pu donner l’impression de penser le contraire, dimanche sur les ondes de la TSR.
Aujourd’hui, plusieurs constitutionnalistes pensent pourtant que la Constitution doit être revue pour éviter que le peuple soit appelé à se prononcer sur des initiatives qui ne pourront être suivies d’effets en raison de leur incompatibilité avec des normes internationales importantes mais n’appartenant pas à la catégorie très restreinte du droit impératif. Le Conseil fédéral s’est saisi de la question et doit rendre son rapport prochainement. Pour Andreas Auer, il ne saurait néanmoins être question que le parlement statue sur la conformité ou non d’une initiative au droit international: la réponse doit être laissée au Tribunal fédéral. Beaucoup plus nuancé que son collègue sur l’ensemble du problème, Etienne Grisel, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, est aussi d’avis que si un contrôle de la conformité des initiatives au droit international devait être instauré, il faudrait le confier à une autorité judiciaire. Mais il rappelle en même temps qu’il n’est encore jamais arrivé que la Cour de Strasbourg juge contraire à la convention européenne l’application d’une disposition introduite dans la Constitution par voie d’initiative populaire. Cela montre, pense-t-il, que le risque d’une incompatibilité entre une initiative et les libertés fondamentales garanties par le droit international «n’est en pratique pas si grand».
Selon lui, il peut être particulièrement ardu de déclarer à l’avance quelles initiatives sont conformes au droit international et lesquelles ne le sont pas. S’agissant des minarets, Etienne Grisel, tout en étant opposé à l’initiative, se démarque nettement du Conseil fédéral et estime qu’il n’est pas du tout certain que l’interdiction de la construction de minarets soit contraire à la convention. La Cour, rappelle-t-il, a par exemple jugé acceptable l’interdiction du port du foulard islamique par des étudiantes, alors que cette interdiction touche plus directement et plus personnellement les adeptes de la foi musulmane que la prohibition des minarets.
Dans l’immédiat, pense Etienne Grisel, l’initiative n’est pas directement applicable comme telle. Il faudra par exemple que la loi donne une définition juridique du minaret et de ce qu’il faut entendre par «construction».

INTERVIEW
Caroline Fourest: «Les minarets ne sont pas un symbole politique. Le voile, oui»


Si vous étiez Suissesse, qu'auriez-vous voté dimanche dernier?
le 05 décembre 2009, 21h11
Le Matin Dimanche
11 commentaires
J'aurais voté contre l'initiative. Je peux comprendre le peuple suisse qui, à travers son oui, a exprimé un profond malaise, il est réel, mais l'interdiction de construire des minarets ne résoudra rien, c'est même un cadeau fait à la propagande victimaire de certains islamistes. C'est une mauvaise réponse à une bonne question.
Quelle est la bonne question?
Face à la globalisation, dans un contexte de retour en arrière s'agissant des questions identitaires, et notamment religieuses, comment accepter des demandes particularistes (dispenses, non-mixité, nourriture séparée dans les cantines) sans toucher aux valeurs communes? C'est une question de vivre ensemble. Tous les pays du sud et du nord sont confrontés au même défi.
Et la mauvaise réponse?
Il y en a deux. Soit tolérer tous les discours, y compris intégristes, au nom du respect des religions. C'est le multiculturalisme qui privilégie la différence plutôt que l'égalité. Cette approche anglo-saxonne a mené à des inégalités liberticides, notamment aux Pays-Bas, au Canada ou en Grande-Bretagne. En réaction, on assiste aujourd'hui à un retour de la xénophobie, incarnée par une droite populiste qui affirme que tous les problèmes viennent de l'islam.
58% de oui, c'est bien plus que l'électorat de l'UDC. Certains disent avoir voté à titre préventif pour éviter, par exemple, que s'installent des tribunaux islamistes comme en Grande-Bretagne.
Le vote préventif ne veut rien dire, on ne peut pas spéculer sur l'avenir, c'est préjuger des intentions et donc stigmatiser. S'il existe des tribunaux basés sur la charia en Grande-Bretagne, c'est dû à un déficit de laïcité. Mais ce que l'on constate, c'est que partout où l'on a laissé faire, le retour de bâton est violent. De l'angélisme du multiculturalisme qui prend tout signe religieux pour un signe culturel, on est en train de passer au système inverse, qui voit en tout signe culturel ou religieux un signe politique. C'était d'ailleurs l'argument d'Oskar Freysinger: faire passer les minarets pour un symbole politico-religieux. Mais un minaret est tout autant un élément culturel et architectural. Pour les initiants, il s'agit moins de défendre la laïcité que d'assurer la domination visuelle et culturelle du christianisme. En France aussi, une certaine droite radicale tente de brandir la défense de la laïcité pour défendre en réalité la suprématie du catholicisme contre l'islam.
Comment éviter cette instrumentalisation de la laïcité?
Le système qui garantit le mieux l'égalité de toutes les religions n'est pas, comme on le pense souvent, la laïcité ouverte, qui organise la reconnaissance de toutes les religions au nom de leur droit à la différence, mais la laïcité indifférente à toutes les religions. L'idée est de mettre en avant ce qui nous rassemble, plutôt que ce qui nous sépare. C'est l'idée même de l'universalisme auquel j'ai consacré mon dernier essai.
Pour en revenir aux minarets, qu'aurait-il fallu faire alors?
On aurait pu régler le problème sans stigmatiser une religion. Par exemple, par des réglementations portant sur l'urbanisme: ni les clochers ni les minarets ne doivent dépasser tant de mètres, ou sur les nuisances sonores, comme ce fut le cas avec les cloches. En insistant sur la différence religieuse, plutôt que de s'en remettre aux lois réglementant le vivre ensemble, le remède est pire que le mal.
Pensez-vous, comme certains, que la démocratie directe a montré ses limites?
Je suis Française et n'ai donc pas à juger. Ce serait arrogant. Je sais les Suisses très attachés à leur système. De l'extérieur, ce que je constate, c'est que face à des enjeux de cette envergure, cette démocratie devrait être plus sévèrement encadrée, par exemple par un Conseil constitutionnel. Si on peut défaire des valeurs constitutionnelles par une initiative populaire, on peut très vite défaire tout une Constitution.
Le multiculturalisme prend tout signe religieux pour un signe culturel, dites-vous, alors que la droite nationaliste prend tout signe religieux pour un signe politique. Comment démêler ces deux notions?
L'affaire n'est pas aisée. Il s'agit surtout de savoir si certaines demandes sont émancipatrices ou régressives, si elles tendent à renouer avec les valeurs communes ou à s'en éloigner. Il faut donc tenir compte du contexte et de l'intention. Par exemple, la grande mosquée de Paris a été construite pour rendre hommage aux 100 000 morts musulmans qui avaient combattu pour la France. Elle a un minaret, mais c'est un signe de pacification. En revanche, le centre islamique de Genève, le QG des Frères musulmans en Europe qui diffuse un discours radical, n'a pas de minaret.
Vous êtes connue comme étant l'adversaire privilégiée de Tariq Ramadan, dont vous démontez régulièrement le double discours. Que faire de plus pour le confondre?
Rien. Rien d'autre que le débat d'idées, informer, prouver, démontrer et en assumer les conséquences. Les médias ont aussi un travail à faire, notamment autour des représentations. Au lieu de toujours inviter Tariq Ramadan, perçu comme le summum de la modernité, pourquoi ne pas s'intéresser à d'autres intellectuels musulmans, oeuvrant vraiment dans le sens de la laïcité. A peu près en même temps que son grand-père fondait le mouvement des Frères musulmans, à la fin des années 1920, était publié «Islam et les fondements du pouvoir» d'Ali Abderraziq, théologien et juriste, qui prônait la séparation radicale du spirituel et du temporel, montrant que Mahomet, même de son vivant, ne voulait pas lui voir succéder un pouvoir religieux.
Vous parlez de l'universalisme comme d'un idéal à atteindre, mais un idéal sans cesse attaqué, y compris au sein de l'ONU.
Il y a aujourd'hui un changement majeur dans l'équilibre des nations. Le rapport de force n'est pas seulement numérique - on est passé de 58 pays à 192 - il est aussi d'influence. Avec le bourbier irakien et la violation des droits de l'homme à Guantánamo, les USA se sont retrouvés en porte-à-faux pour donner des leçons. Cela a ouvert un boulevard à la Chine, qui a non seulement une grande influence économique mais une option plutôt différentialiste du monde. Depuis, l'universalisme est menacé non seulement par le différentialisme chinois, mais aussi par les revendications intégristes des pays de l'Organisation de la Conférence islamique. Laquelle OCI tente, depuis l'affaire Rushdie, d'utiliser l'ONU pour restreindre la liberté d'expression, droit fondamental, pour faire interdire «le blasphème» contre l'islam, y compris par des non-musulmans et hors d'un pays islamique.
Que répondez-vous à ceux qui disent que l'universalisme n'est qu'un avatar du néocolonialisme, une valeur propre à l'Occident?
Je dis que tous les textes de tous les peuples y ont aspiré, même si cet idéal a été amalgamé, c'est vrai, avec les velléités impérialistes de certains pays. Mais la Déclaration universelle, c'est le droit des peuples à s'autodéterminer.
Trois dernières questions
Si les minarets ne sont pas forcément politiques, le voile l'est-il?
Oui, il est clairement politique, symbole d'inégalité. Surtout quand en Suisse ou en France, de jeunes femmes le portent pour adhérer à une idéologie réactionnaire et pudibonde. Le voile n'est pas prescrit par le Coran qui parle d'un voile sur la poitrine. Il n'aurait pas la même signification si nous vivions dans un monde où aucune femme n'était obligée de le porter. Mais des Iraniennes, des Saoudiennes, des Yéménites, des Egyptiennes ou des Algériennes sont menacées et agressées si elles ne le portent pas. Dans dix ans je n'aurai peut-être plus le même diagnostic.
Les femmes ont voté majoritairement pour l'initiative antiminarets, révélant ainsi une peur de voir régresser leurs acquis...
Ce n'était pas le bon moyen d'en témoigner mais je comprends cette crainte puisque les femmes sont les premières visées par l'intégrisme. La question des droits des femmes est un révélateur de la montée de l'intégrisme, mais pas seulement en Islam. Cela fait douze ans que je travaille sur tous les intégrismes, y compris chrétiens. Le retour de bâton face aux acquis de la libération sexuelle est partout. Toutes les religions ont progressé en offrant de sacraliser les coutumes patriarcales.
Vous avez été entendue lors de la commission sur la burqa. Quelle est votre position?
La burqa est une particularité salafiste d'inspiration saoudienne. C'est un phénomène très minoritaire qui, hélas, banalise le voile. On voudrait l'interdire au nom de la féminité, de l'identité nationale ou de la laïcité, mais interdire c'est faire reculer les droits individuels. Je plaide pour une réglementation au nom de la sécurité plutôt que pour une loi légiférant sur le voile intégral. Je fais le pari que les pays musulmans seront les premiers à prendre des positions suffisamment fermes sur la burqa, au nom de leur sécurité. On peut donc les laisser partir devant...

Lausanne, le 16 novembre 2009

L'Université de Lausanne enseignera-t-elle l'islam ?



C'est tout un symbole. La communauté musulmane inaugure ce matin sa nouvelle mosquée lausannoise, dans le quartier sous gare. Bien accueillie par ses voisins, la construction s'érige en exemple d'un processus d'intégration culturelle maîtrisé. La présence harmonieuse dans le paysage d'un vaste lieu de culte en est un aspect essentiel. Mais ce n'est pas le seul. Une bonne compréhension de ce qui «fait» l'islam et son peuple est aussi nécessaire - un programme national de recherche (PNR 58) s'y intéresse d'ailleurs de près.

L'enseignement de l'islam comme discipline académique a-t-il sa place en terre protestante ? Et sous quelle forme ? Certains s'étonnent que le «troisième monothéisme» ne soit pas déjà présent à l'Université de Lausanne, aux côtés du christianisme et du judaïsme. Font exception, un cours d'introduction et des enseignements prodigués à Genève.

A l'aube d'une vaste réorganisation des facultés de théologie de Lausanne, de Genève et de Neuchâtel, la question mérite d'être posée. «Elle n'est toutefois pas prioritaire», estime Dominique Arlettaz, recteur de l'UNIL, qui veut construire la structure avant d'en définir les profils.

Pourtant, dans les couloirs, le principe d'une chaire dédiée à l'islam semble acquis. Mais pour en imaginer le cahier des charges, deux approches s'opposent: une réduction du «phénomène» de l'islam à des données statistiques en lien avec les sociétés contemporaines ou une formation plus ample, historique et religieuse, qui l'étudierait du Coran à nos jours. «Il faut trouver l'équilibre et le moyen d'intégrer toutes les dimensions philosophiques, esthétiques et littéraires de cette culture, estime Ahmed Benani, politologue, ancien chargé de cours à l'université de Lausanne. Seule une véritable chaire d'islamologie pourrait englober une telle diversité.»

Pierre Gisel, professeur de théologie systématique et auteur d'un livre sur les monothéismes, va dans le même sens, estimant que cette religion doit être intégrée dans un concept général «d'étude du fait religieux». Et avance une mise en garde: «Si aucune réflexion sur les dimensions religieuses et théologiques n'est donnée à l'université, d'autres s'en chargeront.»

Source: Emmanuel Barraud, 24 Heures - jeudi 13 novembre 2008

Projet soumis à discussion pour la constitution en 2010 d’une fondation. Merci de faire circuler le texte et d’envoyer vos commentaires à Ahmed BENANI : ahmed.benani@citycable.ch

Fondation suisse d’études, de recherches et de savoirs sur les espaces islamiques dans le monde

Les espaces de l’islam « mondialisé » sont profondément marqués par une crise dont la complexité et les formes ne sont pas toujours identifiables ou identifiées. Les approches culturalistes, essentialistes, géostratégiques ou géopolitiques d’aujourd’hui peinent à rendre compte de l’ampleur de cette crise et de son enracinement historique et transcivilisationnel. De plus en plus d’intellectuels de chercheurs, d’acteurs et de citoyens souhaitent revisiter les différents espaces musulmans, comprendre leur bigarrure ethnoculturelle, repenser les « chocs » endogènes et exogènes des islams, réinterroger, à partir de nouvelles grilles des sciences « humaines » et des sciences « exactes », les concepts de « tradition » et de « modernité ».

Il ne manque pas d’acteurs ou de penseurs qui ne souhaitent une sortie de la crise par des réformes culturelles et religieuses, une refonte ou mutation des systèmes politiques ou de gouvernance autoritariste. Dépasser ou surmonter la crise passe pour eux par un retour à l’humanisme islamique qui habite encore leur imaginaire.
La Fondation suisse d’études, de recherches et de savoirs sur les espaces musulmans dans le monde que nous voulons établir a pour vocation première de réunir toutes celles et tous ceux qui pensent que la frontière, d’une civilisation à l’autre, d’une culture à l’autre, est perméable, historiquement indéfinie et indéfinissable. La fondation pense qu’il est nécessaire de formuler autrement le débat sur l’universalisme et le relativisme culturel, aujourd’hui plus que jamais focalisé sur l’héritage des Lumières. Les initiateurs de la Fondation inscrivent leur démarche dans la perspective d’un continuum. Il est possible, selon nous, de réhabiliter ou de dépoussiérer des conceptions de l’universel qui ont vu le jour en dehors de « L’Occident »; de même qu’il nous semble fécond d’intégrer à notre démarche le rapport d’autres cultures à l’universalisme. La problématique de l’occidentalisation est à nos yeux caduc. Il y a un croisement, une interpénétration des espaces de l’islam et ceux de l’Europe ancienne ou post-Lumières qui montrent bien que le ressourcement multiforme (politique, culturel, économique, humaniste ? spirituel ? éthique ?) postulés par les intellectuels des espaces de l’islam n’est pas en rupture définitive avec l’héritage de ce qu’on désigne abusivement par Occident.
Dans la mondialisation que nous vivons depuis la fin du XXe siècle, les tensions culturelles, les conflits armés ne sont pas imputables au seul Islam, la « crise » de ce dernier ne s’explique pas par l’approche caricaturale et/ou candide de l’émergence récurrente des radicalismes religieux ou néo-fondamentalistes islamiques et leur passage au « terrorisme » et à l’Ouest. Il n’y a pas plus de bloc islamique des ténèbres qu’il n’y a de bloc occidental avec ses armées de pentecôtistes ou de missionnaires évangélistes d’une chrétienté re-conquérante ou hégémoniste.
La peur, les hantises que suscitent le mot Islam sont des productions de l’imaginaire social qui enferme l’islam dans un monolithisme de type totalitaire, un autre territoire, une altérité forcément invasive et menaçante pour le reste du monde.

Notre fondation se veut un lieu de réflexion sur les mutations plutôt qu’un centre où se décideraient les transformations des espaces musulmans, nous voulons en faire, non un lieu pour spécialistes pointus ou « néo-orientalistes » en vogue, mais un espace de liberté ouvert à tous les questionnements. Un de ses objectifs premiers est l’élaboration d’une charte ou plateforme pour le lancement d'initiatives concrètes et innovantes, pensées et travaillées par les différents acteurs suisses et internationaux académiques et sociopolitiques, civils et religieux, publics et privés intéressés par les espaces islamiques dans le monde. La fondation est de par sa nature, un pôle d'attraction pour de nombreuses compétences, dans l’esprit de la Genève Internationale, un lieu d'excellence des savoirs, et un creuset où les disciplines se croisent, les idées se confrontent pour mieux se propager.

Le siège de la Fondation est à Genève (éventuellement à Lausanne) car nous pensons que la Suisse offre les qualités requises pour abriter nos activités. La liberté d'expression et de conscience garanties de notre existence sont des valeurs fondamentales de ce pays.
L’engagement de Genève en matière de bons offices, de médiation en droit humanitaire, sa neutralité de soft power et de multilatéralisme et sa réputation éthique font d'elle l’endroit idéal pour notre fondation.
Genève a été le cœur de la réforme du christianisme, il n’est pas impensable qu’elle devienne un des lieux qui puisse donner toute sa place à un islam de la pensée.
Le professeur Mohamed Arkoun déclarait dans cet esprit que nous partageons : « Que vaut notre discours d’intellectuels dans l’entrechoc des imaginaires musulman et européen ? L’Occident est bien trop fasciné par l’intégrisme pour s’apercevoir qu’il existe des cartésiens en Islam. Et, du côté musulman, les extrémistes nous déclarent hors la loi ! ».

Les activités de la Fondation s'articuleront autour de trois axes principaux : l'observation, la recherche et la diffusion.
Observer, c’est saisir et collecter ce qui nous interpelle dans les espaces islamiques pour construire une déontologie des savoirs et du dialogue.
La recherche est centrée sur l’ouverture à tous les domaines de l’impensé par l’investissement de tous les champs de la connaissance. Elle est par nature multidisciplinaire. Elle interconnecte les domaines des sciences humaines, interroge le théologique, le sacré et le profane et fonde une nouvelle anthropologie des espaces de l’islam. L’observation et la recherche englobent également les domaines scientifiques, économiques, politiques et organisationnels.
La Fondation sera en mesure de répondre aux besoins des chercheurs, des acteurs, des décideurs et des concepteurs en leur fournissant les outils et les méthodes adéquats et mis à jour pour comprendre non seulement les codes du sacré mais aussi les questions de ressources humaines et économiques, ainsi que les stratégies et enjeux de développement.
La Fondation est appelée enfin à diffuser les savoirs acquis, les savoirs faire en publiant mais surtout en organisant séminaires et conférences, en collaborant très étroitement avec les milieux académiques en Suisse et dans le reste du monde, en établissant des liens et une coopération étroite avec les instituts travaillant aussi bien à l’échelle du macro que du micro islamique.
Ainsi la Fondation sera en mesure d’œuvrer dans la durée en favorisant deux pistes hélicoïdales, l’islamologie théorique et appliquée d’une part, les sciences organisationnelles d’autre part.
La Fondation sera en mesure de fournir non seulement des indices tels que ceux de la bonne gouvernance, d'efficacité économique et de "readiness" à la nouvelle société ou économie de connaissance, que des approches cognitives et articulées aux conditions critiques de production des savoirs dans les espaces islamiques. Les indices produits constitueront entre autre une sorte d'écran radar pour les espaces islamiques.

Dr. Ahmed BENANI
Politologue
2, chemin de Lucinge
1006 Lausanne ahmed.benani@citycable.ch





Fondation suisse d’études, de recherches et de savoirs sur les espaces islamiques dans le monde


1. INTRODUCTION

Les espaces de l’islam sont aujourd’hui profondément marqués par une crise dont la complexité et les formes ne sont pas toujours clairement identifiées. Les analyses peinent à rendre compte de son ampleur et de son enracinement historique et transcivilisationnel. Nombreux sont les acteurs et penseurs qui souhaitent une sortie de cette crise par des réformes culturelles et religieuses, ainsi qu’une refonte des systèmes politiques et de gouvernance, en se référant notamment à un islam humaniste.

Dans cette perspective, les signataires proposent l’établissement d’une fondation en Suisse qui étudierait les interactions entre espaces islamiques et occidentaux dans leur dimension mondialisée.



2. OBJECTIFS

Pour ce faire, la Fondation se fixe les objectifs suivants :

- ouvrir un espace de libertés à la pensée innovante et à des initiatives concrètes,
- établir un pôle d’excellence des compétences internationales et des savoirs pluridisciplinaires,
- créer des liens entre les divers acteurs politiques, économiques, académiques, civils et religieux, suisses et internationaux.



3. POURQUOI EN SUISSE ?

La Suisse, et Genève en particulier, offrent le cadre idéal pour implanter cette Fondation principalement en raison de sa tradition de respect et de promotion des droits humains.



4. ACTIVITES DE LA FONDATION

Les activités de la Fondation s’articulent autour de trois axes principaux : l’observation, la recherche et la formation. Ces trois axes se complètent et fournissent un cadre cohérent pour appréhender la réalité des crises de l’islam mondialisé.

a. Observation
- saisir et collecter des données et des savoirs rassemblés dans un portail électronique accessible à tous
- analyser et classer ces données et établir une série d’indicateurs tels que l’efficacité économique, la bonne gouvernance, le degré d’insertion sociale, …

b. Recherche
La Fondation s’attache à former des groupes de recherche pluridisciplinaires afin de susciter des synergies entre les sciences théologiques et humaines (philosophie, anthropologie, sociologie, histoire, linguistique, …), les sciences organisationnelles (théorie des systèmes complexes, théorie des réseaux, science de la décision, …) et les sciences du marché (économie, finance, …) dans un esprit de liberté académique et offrant les conditions cadres de la rigueur intellectuelle et de la déontologie professionnelle.



c. Formation
Dans le but de soutenir les efforts de recherches de la Fondation pour répondre aux besoins des chercheurs, des acteurs et des décideurs, la formation peut offrir le programme suivant :

- cours post-grades et formation continue,
- programmes de maîtrise ou de doctorat,
- conférences, congrès scientifiques, séminaires, tables rondes, forums de discussion, accompagnés de publications.


Ces activités permettent d’augmenter la visibilité internationale et la crédibilité académique de la Fondation et de concrétiser son influence sur le devenir des espaces de l’islam.

Les travaux de la Fondation investiront tous les champs de la connaissance. Cependant, la sélection des problématiques, des projets de recherche et des programmes de formation se fera sur une base compétitive. Ainsi, toute proposition soumise sera examinée par un comité scientifique qui jugera de sa pertinence scientifique et de son adéquation avec les orientations de la Fondation, ainsi que par un comité économique qui évaluera son utilité et sa faisabilité financière.



5. ORGANISATION

Durant cette phase préparatoire, le comité de lancement se charge des tâches suivantes :

- choix de la forme juridique de la Fondation
- rédaction d’une charte constitutive
- réunir un comité de conseillers
- réunir un comité d’honneur
- recherche de fonds, dans le respect du principe de la pluralité des sources de financement afin de garantir l’indépendance de la Fondation
- planifier une unité administrative







Ahmed BENANI
2, ch. De lucinge
Tél. : 00 41 21 311 39 55
00 41 78 676 38 45
E-Mail : ahmed.benani@citycable.ch















Chronique
Tempête dans un minaret, par Caroline Fourest
LE MONDE | 04.12.09




Personne n'a vu venir le succès de la votation suisse en faveur de l'interdiction de nouveaux minarets. Pas même la droite populiste à l'origine de cette initiative. Aujourd'hui, on cherche un responsable. La faute aux élites qui n'ont rien vu venir, ou au peuple qui a exprimé son ras-le-bol ? Aux médias, qui parlent trop de l'islamisme, ou aux intégristes qui en font trop ? Laissons de côté les jugements moraux pour s'interroger sur l'intention, le contexte et la portée de ce vote.


L'intention tout d'abord. L'initiative vient d'un groupe proche de l'UDC, ce parti populiste dont les affiches électorales mélangent volontiers la question de l'immigration et celle de l'intégrisme. L'une des affiches en faveur du "oui" montrait une femme en voile intégral, sur fond de drapeau suisse recouvert de minarets en forme de missiles. Elle a pu séduire des électeurs révulsés par le port du voile intégral, alors que la votation portait sur l'interdiction... des minarets.
Comme le voile sur les cheveux, le minaret n'est en rien une obligation coranique. Mais il n'a pas la même portée inégalitaire. Comme le clocher, il témoigne de l'envie d'appeler ses fidèles, éventuellement d'un certain prosélytisme. On pourrait comprendre qu'une votation sur l'urbanisme souhaite réglementer la hauteur des édifices cultuels et leur impose le silence, ne serait-ce que par respect pour le voisinage. Cette question était réglée avant la votation, et ce n'est pas ce qu'elle proposait. Elle visait les minarets, et pas les clochers. Ce qui introduit de fait une discrimination entre les lieux de culte.
Loin d'être laïque, cette posture vient d'une approche religieuse. On l'a oublié, mais la Réforme protestante a interdit à la minorité catholique Suisse de faire sonner ses cloches et même de construire des clochers. Cette tradition, inéquitable, vient d'être réactivée contre les minarets.
Les pays de l'Organisation de la conférence islamique, représentés en force au Conseil des droits de l'homme siégeant à Genève, auront pour une fois raison de crier au "deux poids, deux mesures". Mais qu'ils ne crient pas trop fort. La Suisse est loin d'être aussi injuste que certains pays musulmans, lesquels interdisent carrément la construction d'églises et non seulement celle de clochers. Reste qu'un pays où siègent les institutions garantissant les droits de l'homme aura bien du mal à assumer une mesure qui déroge clairement au principe d'égalité.
Contrairement à la loi sur les signes religieux ostensibles à l'école publique, il ne s'agit pas de défendre l'égalité hommes-femmes, mais bien de s'assurer de la domination visuelle et symbolique du christianisme au détriment de l'islam. Au nom d'une approche qui relève de l'identité et non de la laïcité.
La laïcité telle que nous la vivons en France veille à traiter toutes les religions sur un pied d'égalité. Elle peut se montrer exigeante envers certaines interprétations politiques et inégalitaires du religieux, notamment à l'école publique, mais elle respecte les lieux de culte, qu'elle peut même entretenir au titre de la culture et du patrimoine. La Suisse a fait un choix inverse : non pas s'attaquer aux manifestations politiques du religieux (comme le voile) mais s'en prendre à sa part culturelle, l'architecture. Pourtant, les mosquées ayant un minaret sont souvent les plus belles et les moins intégristes. Tandis que le Centre islamique de Genève, le quartier général d'où rayonnent les Frères musulmans depuis la Suisse, n'a pas de minaret.
Cet islam politique venu d'Egypte est largement déconnecté des préoccupations des musulmans suisses, en grande majorité turcs ou albanais. Ce sont pourtant ses prédicateurs que les médias locaux ont trop longtemps présentés comme la voix de l'islam suisse. Au point d'agacer et, peut-être, de contribuer à ce retour de bâton. Paradoxe : le résultat de cette initiative va leur permettre de renforcer leur propagande victimaire, donc l'intégrisme.
Caroline Fourest




LE TEMPS

OPINIONS Mercredi9 décembre 2009
Minarets: question de pertinence
Louis de Saussure
Louis de Saussure, professeur de linguistique à l’Université de Neuchâtel, analyse comment les votants ont interprété et répondu à la question sans se soucier de savoir si elle faisait sens


Tout a bientôt été dit sur la tradition de repli identitaire de notre pays ou au contraire sur sa culture de la diversité et de l’ouverture, et sur les raisons profondes du vote sur les minarets: peur, fantasme, symboles, et sur les problèmes soulevés par une pratique peu pondérée de la démocratie directe.
Il y a toutefois une pièce de plus à verser à ce dossier, et elle concerne la manière dont l’esprit traite l’information. Il se trouve en effet que le simple fait de poser la question de l’interdiction de construire des minarets, comme toute question, en particulier soumise au vote, se double d’une présomption de pertinence très naturelle, très enracinée dans l’économie de la communication humaine (et d’ailleurs bien au-delà), qui s’active de manière automatique et peut se résumer ainsi: la question est pertinente dans les circonstances, c’est-à-dire qu’elle fait sens, mérite examen et réponse. Du point de vue logique, la question portait sur l’interdiction – absolue – d’ériger des minarets en Suisse. Du point de vue pragmatique, cette question n’est pertinente que s’il est par ailleurs vrai qu’il se construit des minarets en Suisse, qui plus est en un nombre suffisamment important pour mériter une question sur leur interdiction – et, faut-il encore ajouter, s’il faut les interdire, c’est qu’ils pourraient être dangereux (bien que par ailleurs, ce que pourrait être le danger des minarets échappe au sens commun).
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Ainsi, la question a pu susciter, même de manière furtive, l’idée qu’il pourrait s’en trouver bientôt dans mon quartier, dans mon village, de manière anarchique, prélude à une sorte d’invasion qu’il faudrait interdire, contenir avant qu’elle se produise. Bien entendu, cette présupposition avait d’autant plus de chances de s’activer qu’elle n’était pas efficacement désamorcée en amont par une communication efficace sur la réalité des faits et des enjeux, pour contribuer à assainir une image très péjorée de l’islam pour des raisons déjà bien débattues. Bien sûr, ce n’est pas tout: il y a aussi le vote d’humeur, irréfléchi, organisé en «j’aime, j’aime pas» sans plus de procès; mais il est significatif que bien des personnes interrogées sur leur vote insistent pour expliquer que leur attitude était mesurée et rationnelle. Quoi qu’il en soit, il faut bien convenir que sans cette présupposition, la question n’est tout simplement pas pertinente, elle aurait été sans objet.





Les initiants ont donné à leur proposition les oripeaux de la pertinence, en jouant sur ce mécanisme simple de la crédulité humaine: si je n’ai pas de raison particulière d’en douter, ce qu’on me dit est pertinent. La réponse des votants n’a donc pas concerné directement la question posée, mais plutôt cette présupposition erronée amenée de manière subreptice à la conscience des votants, et qui l’a polarisée vers l’extrême inverse de l’interdiction. Un nombre probablement significatif de votants s’est décidé en fait contre la construction de nombreux minarets (menaçants sans qu’on sache pourquoi) près de chez eux. La combinaison de ces paramètres s’est sans doute combinée à d’autres facteurs encore, car nous spéculons, pas toujours de manière bien contrôlée ni consciente, des relations causales en chaîne: ainsi, si les minarets sont susceptibles d’une interdiction, c’est qu’ils sont dangereux. Mais comme l’explication du «danger des minarets» n’apparaît pas de manière évidente, le minaret devient symbolique, emblématique, d’autre chose: l’islamisme. L’affiche de propagande mettait de telles associations en scène d’une manière très explicite d’ailleurs. Le cocktail explosif a explosé.
Il se trouve que nous ne pouvons nous empêcher de rechercher la pertinence des propos auxquels nous sommes exposés (voir à ce sujet les travaux de Dan Sperber, récent lauréat du Prix Claude Lévi-Strauss, et de la linguiste Deirdre Wilson), quitte à rajouter par spéculation du contenu aux énoncés, à moins bien sûr que des éléments connus l’interdisent et permettent de poser le jugement, coûteux, de non-pertinence. Dans le vote qui nous concerne, toutes proportions gardées, les choses se sont un peu passées comme dans le fameux reportage de Philippe Vandel lorsqu’il avait demandé aux passants s’ils étaient inquiets du fait que, selon les calculs, le Nouvel An 2000 tomberait un vendredi 13: nombreux étaient ceux qui élaboraient et commentaient la question sans voir qu’elle était dénuée de pertinence. Ils devaient pourtant pour cela écarter de leur conscience une information évidente: un premier de l’an ne peut être un treize. Dans le cas qui nous intéresse, tout se passe comme si les votants s’étaient tenus un raisonnement inconscient qui impliquait, pour accéder à une présupposition donnant de la pertinence à la question, la mise entre parenthèses d’éléments pourtant relativement évidents: il y a de longues procédures d’autorisation de construire, il ne s’agit guère que d’un détail de construction, il n’y a que très peu de musulmans en Suisse, ils ont droit à leurs symboles comme les chrétiens ont droit à leurs clochers et les israélites à leurs synagogues, etc.
Bien sûr, on comprend pourquoi Oskar Freysinger déclare en substance (24 heures du mardi 1er décembre) qu’il «assume des simplifications» et qu’il faut savoir prendre des décisions. C’est manifestement ce qu’ont fait certains de nos votants, et le vote d’humeur passe aussi par une forme de duperie de soi-même: j’ai vaguement conscience que ce que je vote n’est pas entièrement réfléchi, mais je laisse cette pensée en dehors de mes soucis, voire je la relègue dans des zones moins visibles de ma conscience. La raison en est le biais cognitif de confirmation: il m’est moins coûteux de confirmer mes croyances existantes que de les mettre en révision.
Les Huguenots des «refuges», s’ils sont soulagés des votes dans leurs terres historiques d’accueil, doivent avoir aujourd’hui une pensée pour la révocation de l’Edit de Nantes, qui signait une victoire de l’obscurantisme – qui aujourd’hui n’est pas toujours où l’on croit – sur la raison.

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