mercredi 24 mars 2010

L'Islam, ultime recours, Jocelyne Césari- CNRS

''islam est désormais la religion de plsieurs millions de citoyens européens. On est doc amenés à parler naturellement d'islam européen. Continuer à l'associer à l'altérité exotique ou tout sipmplement à l'étranger revient donc à l'ériger en curiosité, en étrangeté ou tout simplement en icongruité

l'Islam, ultime recours?
Jocelyne Césari pp.56-63



habituels. A cet égard. considérer que les mouvements politico-religieux sont d'abord des mouvements religieux instrumentalisant le politique à des fins de resacralisation de l'espace public ou, à l'inverse, des mouvements d'abord politiques instrumentalisant le religieux à des fins de conquête de pouvoir conduit à une impasse. Ne faudrait-il pas plutôt les considérer comme des mouvements visant en même temps le pouvoir et la resacralisation de l'espace public et dont la caractéristique serait dès lors qu'ils ne concevraient le pouvoir que dans et par la référence au religieux et vice-versa? "Ces mouvements, édifiés, pour faire bref, sur le double échec du nationalisme et du communisme, référés l'un et l'autre à une modernité occidentale dont la version libérale est simultanément fantasmée, désirée et rejetée, sont avant tout des indicateurs d'une remise en circulation qui, tout en permettant de dire et (jusqu'à un certain point) de dépasser un sentiment de frustration, traduiraient le contraire de ce qu'ils prétendent mettre en scène: loin de témoigner d'une "retour du religieux", ils attesteraient son effacement, en pointant un vide, un déficit du politique à ce point présent, massif et cruel que manqueraient même les mots politiques qui permettraient de le dire. D'où ~e recours au religieux, comme registre du discours, corme langage" 2,
Il faut également se garder de penser qu'ils remplissent partout les mêmes fonctions et qu'ils viennent combler le même vide. A cet égard, les emplois du référent "islam" ne revêtent pas la même signification sur la rive nord et sur la rive sud de la Méditerranée. A l'heure où la crise algérienne atteint l'hexagone et où se déploie le dispositif Vigipirate, le parcours de Khaled Kelkal ou d'autres semble fournir des arguments à ceux qui pensent que les mêmes causes engendrent les mêmes effets dans les banlieues de Lyon, de Paris ou d'Alger. Ces épisodes ne sont pourtant pas les arbres masquant une forêt d'intégristes tapis dans nos banlieues pour y fomenter de vastes plans de déstabilisation. Etre musulman, ou simplement perçu comme tel, vous met aujourd'hui en position d'accusé voire de hors-la-loi. Pour éviter une telle dérive, il faut cesser de lire l'islam de France au regard des convulsions politiques du monde arabe en général et de l'Algérie en particulier. Il n'existe pas à ce jour d'enrôlement méthodique et organisé de la jeunesse musulmane des banlieues dans une lutte politique orientée contre l'État français. Le doute, implicite ou larvé, jeté actuellement sur son loyalisme et son civisme par les pompiers pyromanes de nos médias, ne peut que nourrir a contrario les tentations de repli voire de radicalisation de certains, lassés de cette mise en accusation systématique.
L'islam est désormais la religion de près de deux millions de citoyens français. Continuer à l'associer à l'étranger revient à l'ériger en étrangeté voire en incongruité. Le plaquage de la situation internationale sur le contexte français fonctionne alors comme un piège redoutable, contraignant les musulmans à se justifier en permanence afin d'enrayer l'engrenage du soupçon. La visibilité qu'ils peuvent revendiquer n'est pas le produit de manipulations extérieures: elle est, tout au contraire, l'expression d'un enracinement définitif dans la société française. Envisager a priori les différentes formes d'identification à l'islam sous le seul angle revient à rendre suspecte toute forme de pratique ou de revendication de cette religion et du même coup, les précieux mécanismes d'intégration dont elle est porteuse. La difficulté à prendre en compte cette diversité trouve en partie son origine dans une vision totalisante et post-coloniale de l'islam, très largement répandue.


"Le syndrome post-colonial"
Depuis plus d'une décennie, les signes de l'appartenance islamique dans les espaces urbains: salles de prière, boucheries halal, foulards dans les écoles publiques, carrés musulmans dans les cimetières, vont être interprétés/étés comme les indices d'un "retour de l'islam" alors qu'ils sont dans la plupart des cas, le révélateur d'un changement d'attitude par rapport à la société française. En effet, dans leur grande majorité, les promoteurs de cette visibilité, y compris les plus jeunes, ne sont pas devenus plus pratiquants mais ont modifié leur rapport à l'environnement, refusant de plus en plus de cantonner leur appartenance islamique à la sphère du privé. Cette appréhension de ce qui n'est somme toute qu'un changement de posture en terme de réislamisation, en dit long sur l'illégitimité attachée aujourd'hui à l'affirmation de l'islam dans le paysage religieux et culturel français. Cette illégitimité est tout entière liée à la difficile acceptation de l'enracinement définitif des Maghrébins car dès qu'il s'agit d'islam, il faut entendre maghrébin, les expressions religieuses des Africains ou même des Turcs suscitant beaucoup moins de passion. Cette polarisation ne peut être déchiffrée sans référence à l'origine de cette migration, coloniale puis post-coloniale qui fait que plus que tout autre, elle a longtemps été considérée comme transitoire, non seulement par les autorités françaises mais aussi par les dirigeants des pays d'origine. Cette position c(conjointe entrait d'ailleurs en conjonction avec le projet migratoire des intéressés eux-mêmes. En effet, il s'agissait d'un projet de mobilité et de déplacement en vue d'une accumulation de capital devant être réinvesti dans le pays d'origine. L'échec de ce projet a modifié leur relation à la société française et conduit à un investissement symbolique dans l'islam qui apparaît comme un moyen de recomposer l'unité perdue et de compenser les conséquences sociales de l'impossible retour. Pour les nouvelles générations nées ou scolarisées en France, l'affirmation publique de l'identité islamique peut également procéder d'une résistance particulière face aux normes et aux valeurs d'une société dont ils pensent qu'ils ne sont pas véritablement les enfants légitimes. Tels sont les ingrédients de la condition post-coloniale, avec d'une part, l'apparition d'une forte mobilisation contre l'intégration des anciens colonisés (visant au premier chef les Algériens), mouvement massif de rejet qui dépasse largement l'électorat du Front national et d'autre part, l'émergence dans l'espace public de diverses formes d'un ressentiment éprouvé par ces cibles du racisme et qui se cristallise autour d'une définition collective du groupe combinant les références ethniques, sociales et religieuses.

conséquence de manipulations extérieures et donc comme un facteur de déstabilisation politique car elle se situe au moment où cette religion devient un élément de la lutte politique dans le monde arabe et particulièrement en Algérie. C'est donc à l'aune de la situation politique algérienne que tend de plus en plus à être considérée la visibilité de l'islam dans la société française, ce qui rend hautement suspecte toute forme de pratique ou de revendication religieuse aussitôt taxée "d'intégrisme". Ce plaquage de la situation internationale sur le contexte français constitue d'une certaine façon un piège pour les musulmans de France sans cesse contraints désormais de se justifier et d'enrayer l'engrenage du soupçon. Mais cela nourrit aussi les tentations de repli voire de radicalisation de certains, lassés de cette mise en accusation systématique.
Le fait de décoder toute forme trop visible d'appartenance islamique comme l'expression d'un "intégrisme" est donc une attitude très répandue. Les musulmans sont en quelque sorte victimes d'une "assignation à être", comme si le fait de se considérer ou de se déclarer musulman devait obligatoirement s'accompagner d'une conformité impeccable aux prescriptions et aux codes rituels. 11 se produit ainsi un effet de totalisation par l'utilisation du terme islam qui rend impensable, la prise en compte des libertés et des accommodements que tout musulman exerce par rapport à la Loi révélée, à l'instar de n'importe quel autre croyant. Cette représentation a au moins deux conséquences. La première est d'occulter et de laisser dans l'ombre la relation éminemment moderne que les nouvelles générations entretiennent avec l'islam. En effet, celles-ci, dans leur grande majorité, en considérant le plus souvent l'islam comme référence culturelle ou éthique, relativement détachée des contraintes de la pratique, révèlent un usage sécularisé de la religion, un comportement de croyant/consommateur comparable à celui des jeunes catholiques du même âge.
La seconde conséquence est liée à cette vision essentialiste de négliger le poids des différences culturelles dans le rapport à l'islam. Il faut souligner en effet, l'extrême diversité dans les manières d'être musulman en fonction des contextes culturels et historiques dans lesquels le message coranique s'est adapté. A cet égard, les modalités d'identification à l'islam chez les groupes originaires du Maghreb sont différents de ceux provenant de Turquie, d'Afrique noire ou d'Asie. Ces différences tiennent non seulement à la grande variété des systèmes culturels mais également à la place accordée à l'islam dans les différentes nations dont sont originaires les populations. Aussi les différentes manières de se considérer musulman demeurent encore tributaires du rapport à l'islam propre à l'histoire de chaque pays d'origine, à tel point que les formes de mobilisation et d'organisation dans les différentes sociétés sont encore davantage fondées sur des solidarités d'ordre national et ethnique que sur la référence à la 'Umma. Cela explique en partie les difficultés rencontrées actuellement dans la création d'instances fédératives de l'islam de France dans la mesure où les autorités religieuses concernées sont pour la plupart encore enfermées dans des rivalités d'ordre national et ethnique plus que religieux. Cette situation sera vraisemblablement amenée à changer avec l'avènement de nouvelles élites religieuses nées et socialisées en France. C'est pourquoi on constatera combien l'enjeu de la socialisation et de l'éducation islamique est devenu crucial dans le débat sur l'islam de France. Mais en même temps, il est vraisemblablement illusoire de penser que l'islam français ou européen va pouvoir se couper de toute influence extérieure. Il ne faut pas négliger le fait que les principaux centres où s'élabore aujourd'hui la doxa musulmane sont au Moyen-Orient, en Asie ou au Maghreb. Dès lors, tout l'enjeu est de savoir dans quelles conditions l'islam de France parviendra à s'autonomiser et 3 construire sa spécificité minoritaire sans se couper de ses sources.
Comment une telle diversité pourrait-elle être perceptible quand l'incompatibilité de l'islam aux normes et aux valeurs de la République synthétisées dans le principe de laïcité est posée aujourd'hui comme un problème, sans tenir compte des pratiques, des comportements et de aspirations des musulmans? Dans leur grande majorité, les musulman s'accommodent du principe laïc et ne souhaitent pas pour l'instant bénéficier d'un statut dérogatoire aux lois républicaines. Cette construction par excellence d'un "faux problème" apparaît encore un fois comme une séquelle de l'histoire coloniale avec laquelle resurgit 1 spectre des "sujets musulmans" dans l'Algérie française, lesquels ne pouvaient accéder à la citoyenneté que s'ils renonçaient au code de statu personnel. En revanche, certaines pratiques de l'islam qui débordent la sphère du privé (port du foulard, rythme des fêtes et des rites etc.) viennent remettre en cause la frontière entre public et privé que l'on croyait définitivement établie depuis 1905. Ces pratiques contrarient non pas le contenu juridique de la laïcité mais la vision culturelle dominante. ce pilier de la République qui a eu comme conséquence de rendre illégitime, voire suspecte, toute manifestation publique de l'appartenance religieuse. Dans cette perspective, c'est le statut de toutes les religions dans l'espace public qui doit être mis en débat en France et non pas seulement celui de l'islam comme l'attestent par exemple les demandes réitérées du clergé catholique à propos de l'enseignement des religions dans l'école publique.
Il serait pourtant naïf d'affirmer que la crise algérienne n'a pas de répercussion dans l'islam de France. Tout d'abord parce que la capillarité entre le Maghreb et la France en général et l'Algérie et la France en particulier est forte: les hommes, les idées, les marchandises voyagent entre les deux rives de la Méditerranée, y compris en cette période où 1 contrôle draconien exercé par les pouvoirs de part et d'autre a conduit c une diminution drastique des flux de circulation. Nous savons comment l'espace français et européen sert de refuge financier autant que politique à des réseaux et des acteurs politiques maghrébins, au nombre desquels les opposants islamistes 4. Si ces réseaux passent dans les lieux de l'islam français et les utilisent, on ne saurait pour autant en conclure hâtivement que les musulmans des banlieues y sont massivement impliqués. Le engagements dans l'islam qui apparaissent aujourd'hui au sein de 1. jeunesse ne peuvent pas être expliqués par des termes comme




Hiver 1995-199
"intégrisme" ou "fanatisme" pas plus qu'ils ne sont la copie des courants politico-religieux ayant cours de l'autre côté de la Méditerranée.


Ni islamisation ni ré-islamisation


Ni islamisation ni ré-islamisation ne sont des termes pertinents car ils renvoient pour le premier, à un processus de socialisation initiale faisant fi de l'éducation reçue dans la famille pendant la petite enfance et l'enfance et, pour le second, au prétendu retour du religieux. La compréhension des engagements religieux aujourd'hui passe en fait par la construction d'un nouvel objet: la sociologie du croire afin d'échapper "aux oscillations entre la problématique exclusive du religieux et du politique envisagés comme deux sphères disjointes du social d'un côté, e~ la problématique inclusive de l'imbrication du religieux et du politique à l'intérieur du monde des significations qu'élabore tout groupe humain pour donner un sens à sa propre existence, de l'autre côté".
Dans une société profondément atomisée où l'idée de progrès est remise en cause, la filiation à une religion se trouve alors mobilisée. Il s'agit d'une reconstruction de l'identité à partir du référent islamique s'accompagnant le plus souvent (mais pas toujours) d'une pratique effective. Cette mobilisation intervient chez certains jeunes, après qu'ils aient frayé dans les voies politiques et culturelles comme l'antiracisme, la lutte pour les droits civiques etc.... Celles-ci leur sont apparues factices et vouées à l'échec notamment lorsqu'elles n'ont pas permis d'enrayer le mécanisme de l'exclusion. Les difficultés dans l'accès à l'emploi, le sentiment d'être relégués socialement et de subir des discriminations, la perception de l'image, très négative accolée à l'islam dans l'opinion publique, la mémoire très présente des humiliations du passé colonial transmises par le milieu familial comme si une partie de leur histoire ne faisait pas partie de l'identité nationale française, l'épuisement de toute une série d'idéologies comme le marxisme ou le tiers-mondisme pour lesquelles leurs grands frères et grandes sœurs s'étaient mobilisés: toutes ces raisons se conjuguent pour conférer à l'appartenance islamique une position centrale. Ainsi depuis environ cinq ans, apparaissent dans les banlieues des associations de jeunes qui se déclarent ouvertement musulmans et s'engagent dans un militantisme social en déployant toute une série d'activités depuis le soutien scolaire jusqu'aux activités sportives, venant ainsi concurrencer les éducateurs et travailleurs sociaux sur leur propre terrain au nom des valeurs de l'islam plus aptes, selon eux, à répondre aux défis de la marginalisation.
Pour autant, il ne faut pas en conclure trop vite à une liaison automatique entre islam et banlieue car cette confusion recèle trop de dangers pour l'équilibre à venir de la société française. L'islam français ne peut être réduit au refuge du pauvre, en mal de revanche sociale et dès lors poseur de bombes... L'engagement dans l'islam révèle en fait des recherches d'identité qui traversent l'ensemble de la jeunesse française dans une société où les instances habilitées ~ dispenser la cohésion sociale et à fabriquer le lien social se sont singulièrement affaiblies.
A l'intérieur de cette mouvance, il convient de distinguer ceux qui se caractérisent par un comportement piétiste très marqué de ceux qui vont utiliser le message islamique à des fins plus politiques s'inscrivant dans une culture du refus. Les premiers peuvent être qualifiés "d'intégralistes" 6: il s'agit pour eux d'appliquer tous les préceptes religieux et d'islamiser le maximum d'espaces sociaux au profit d'une vie entièrement musulmane. L'islam est donc utilisé comme code de sens global, opposé à une modernité marquée par l'atomisation des individus et la différenciation des institutions. Il y aurait d'ailleurs une propension des religions révélées à produire ces effets de globalisation. D'ailleurs, cette resocialisation et ré-acculturation islamiques ne sont pas sans rappeler la pratique du judaïsme intégral à l'œuvre dans certaines composantes de la minorité juive française au travers de mouvements transnationaux comme les Loubavitch. Dans le cas des jeunes des banlieues, la mise en conformité des pratiques passe bien souvent par des mouvements piétistes et dévots comme Tabligh-i-Jama'at présents dans les principaux pays d'Europe et plus connu en France sous le nom de Foi et Pratique. Pour ces jeunes se produit alors un décrochage non seulement avec le mode de vie dominant dans la société française mais également avec les traditions culturelles des parents dans la mesure où elles ne sont pas considérées comme le vrai message de l'islam.
Auprès des populations immigrées, les mécanismes de prosélytisme de cette néo-orthodoxie apparaissent beaucoup plus efficaces que ceux, plus intellectuels et modernistes, de l'islamisme radical. S'il existe bien des militants islamistes sur le territoire français, leur endoctrinement de la jeunesse immigrée est beaucoup moins important que ne se plaisent à le souligner certains médias en mal de sensation qui englobent un peu trop vite piétistes et islamistes sous le même terme "d'intégristes". Ces militants issus des pays d'origine, en butte à la répression des régimes en place dans leur propre société, utilisent souvent leur exil comme un lieu de repli et de formation avant de repartir combattre pour un État islamique. Les retombées de la crise algérienne depuis deux ans, et particulièrement depuis l'été 1995, ont mis en pleine lumière l'existence de ces réseaux islamistes.7 Leur démantèlement ne doit pas masquer le fait qu'ils interviennent de façon tout à fait marginale dans le paysage musulman français. D'ailleurs, les discours trop directement liés à la critique des États d'outre-Méditerranée passent difficilement auprès de la jeunesse des banlieues dont les aspirations sont autres et ce en dépit de l'émoi soulevé en France par le parcours d'un jeune beur comme Khaled Kelkal. Lorsque certains de ces leaders islamistes manifestent un intérêt pour les musulmans de France, ils sont alors bien souvent contraints de réorienter leur prédication vers une critique de l'occidentalisation et une stigmatisation de l'assimilation et de laisser de côté les connotations trop politiques8.
Ces engagements dans l'islam bien que minoritaires, sont pourtant l'objet de toutes les attentions et de toutes les passions médiatiques car ils viennent interroger "la spécificité française" en remettant en cause le sacro-saint principe de laïcité. Si l'islam est un mode de vie et peut être
vécu comme tel par certains croyants, ceci a comme corollaire de mettre plus que jamais à l'ordre du jour la question de la dimension sociale des religions: celles-ci ne détiendraient-elles pas un certain nombre de valeurs qui pourraient avoir une portée dans la vie publique et sociale? Tel est en tout cas la position de plus en plus affirmée d'un certain nombre d'autorités religieuses que la visibilité de l'islam vient souligner et amplifier. Preuve en est le feuilleton des foulards dans l'école publique, qui agite l'opinion depuis ,1989 en dépit du fait que, par deux fois, le Conseil d'État est venu rappeler qu'en droit le port du foulard, dans la limite du respect de l'ordre public, n'était pas incompatible avec la loi de laïcité. En revanche, il est insupportable, d'une part en raison des représentations sociales dominantes de cette loi de laïcité qui cantonne le religieux dans l'espace privé, d'autre part du fait que cet attribut religieux cristallise aujourd'hui toute l'imagerie négative sur l'islam, notamment en ce qui concerne la condition de la femme. Par ailleurs, on peut s'interroger sur le paradoxe qui consiste à vouloir contraindre les musulmans à accepter une conception de la religion réduite au culte alors que par ailleurs, les prises de position et les déclarations des autres autorités religieuses juives ou chrétiennes montrent bien que l'enjeu se situe dorénavant dans une réhabilitation de la fonction sociale des religions.

En définitive, l'entrée de l'islam dans l'espace religieux français vient perturber un équilibre considéré jusque-là comme stable entre les trois grands principes qui sous-tendent la laïcité: l'unité républicaine, le respect du pluralisme religieux et la liberté de conscience. Désormais, la part accordée à chacun d'entre eux suscite des débats et des controverses. Il faut alors espérer que la liberté de conscience des musulmans ne sera pas sacrifiée sur l'autel de l'unité républicaine...



Jocelyne Césari est chercheur au CNRS-IREMAM.

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